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mene a l'ile Dumet, deux lieues et demie.
-- D'accord.
-- La, le courant de la Vilaine les jette sur une autre ile, l'ile
d'Hoedic.
-- Je le veux bien.
-- Eh! monsieur, de cette ile a Belle-Ile, le chemin est tout
droit. La mer, brisee en amont et en aval, passe comme un canal,
comme un miroir entre les deux iles; les chalands glissent la-
dessus semblables a des canards sur la Loire, voila!
-- N'importe, dit l'entete M. Agnan, c'est bien du chemin.
-- Ah!... M. Fouquet le veut! repliqua pour conclusion le pecheur
en otant son bonnet de laine a l'enonce de ce nom respectable.
Un regard de d'Artagnan, regard vif et percant comme une lame
d'epee, ne trouva dans le coeur du vieillard que la confiance
naive, sur ses traits que la satisfaction et l'indifference Il
disait: "M, Fouquet le veut", comme il eut dit: "Dieu l'a voulu!"
D'Artagnan s'etait encore trop avance a cet endroit; d'ailleurs,
les chalands partis, il ne restait a Piriac qu'une seule barque,
celle du vieillard, et elle ne semblait pas disposee a reprendre
la mer sans beaucoup de preparatifs.
Aussi, d'Artagnan caressa-t-il Furet, qui, pour nouvelle preuve de
son charmant caractere, se remit en marche les pieds dans les
salines et le nez au vent tres sec qui courbe les ajoncs et les
maigres bruyeres de ce pays. Il arriva vers cinq heures au
Croisic.
Si d'Artagnan eut ete poete, c'etait un beau spectacle que celui
de ces immenses greves, d'une lieue et plus, que couvre la mer aux
marees, et qui, au reflux, apparaissent grisatres, desolees,
jonchees de polypes et d'algues mortes avec leurs galets epars et
blancs, comme des ossements dans un vaste cimetiere. Mais le
soldat, le politique, l'ambitieux n'avait plus meme cette douce
consolation de regarder au ciel pour y lire un espoir ou un
avertissement. Le ciel rouge signifie pour ces gens du vent et de
la tourmente. Les nuages blancs et ouates sur l'azur disent tout
simplement que la mer sera egale et douce. D'Artagnan trouva le
ciel bleu, la bise embaumee de parfums salins, et se dit: "Je
m'embarquerai a la premiere maree, fut-ce sur une coquille de
noix." Au Croisic, comme a Piriac, il avait remarque des tas
enormes de pierres alignees sur-la greve. Ces murailles
gigantesques, demolies a chaque maree par les transports qu'on
operait pour Belle-Ile, furent aux yeux du mousquetaire la suite
et la preuve de ce qu'il avait si bien devine a Piriac. Etait-ce
un mur que M. Fouquet reconstruisa
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