ais vous raconter la chose. Imaginez-vous
que Mouston...
-- Ah! c'est ce drole de Mouston, dit Porthos en plissant les deux
arcs de triomphe qui lui servaient de sourcils.
-- Mais attendez donc, attendez donc. Il n'y a pas de la faute de
Mouston, puisqu'il ignorait lui-meme ou vous etiez.
-- Sans doute. Voila pourquoi j'ai si grande hate de comprendre.
-- Oh! comme vous etes impatient, Porthos!
-- Quand je ne comprends pas, je suis terrible.
-- Vous allez comprendre. Aramis vous a ecrit a Pierrefonds,
n'est-ce pas?
-- Oui.
-- Il vous a ecrit d'arriver avant l'equinoxe?
-- C'est vrai.
-- Eh bien! voila, dit d'Artagnan, esperant que cette raison
suffirait a Porthos.
Porthos parut se livrer a un violent travail d'esprit.
-- Oh! oui, dit-il, je comprends. Comme Aramis me disait d'arriver
avant l'equinoxe, vous avez compris que c'etait pour le rejoindre.
Vous vous etes informe ou etait Aramis, vous disant: "ou sera
Aramis, sera Porthos." Vous avez appris qu'Aramis etait en
Bretagne, et vous vous etes dit: "Porthos est en Bretagne."
-- Eh! justement. En verite, Porthos, je ne sais comment vous ne
vous etes pas fait devin. Alors, vous comprenez: en arrivant a La
Roche-Bernard, j'ai appris les beaux travaux de fortification que
l'on faisait a Belle-Ile. Le recit qu'on m'en a fait a pique ma
curiosite. Je me suis embarque sur un batiment pecheur, sans
savoir le moins du monde que vous etiez ici. Je suis venu. J'ai vu
un gaillard qui remuait une pierre qu'Ajax n'eut pas ebranlee. Je
me suis ecrie: "Il n'y a que le baron de Bracieux qui soit capable
d'un pareil tour de force." Vous m'avez entendu, vous vous etes
retourne, vous m'avez reconnu, nous nous sommes embrasses, et, ma
foi, si vous le voulez bien, cher ami, nous nous embrasserons
encore.
-- Voila comment tout s'explique, en effet, dit Porthos.
Et il embrassa d'Artagnan avec une si grande amitie, que le
mousquetaire en perdit la respiration pendant cinq minutes.
-- Allons, allons, plus fort que jamais, dit d'Artagnan, et
toujours dans les bras, heureusement.
Porthos salua d'Artagnan avec un gracieux sourire.
Pendant les cinq minutes ou d'Artagnan avait repris sa
respiration, il avait reflechi qu'il avait un role fort difficile
a jouer. Il s'agissait de toujours questionner sans jamais
repondre. Quand la respiration lui revint, son plan de campagne
etait fait.
Chapitre LXX -- Ou les idees de d'Artagnan, d'abord fort
troublees,
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