ait donc que petit a petit,
depassant a peine la ligne que les pecheurs formaient sur la
plage, observant tout, ne disant rien, et allant au-devant de
toutes les suppositions que l'on eut pu faire avec une question
niaise ou un salut poli.
Cependant, tandis que ses compagnons faisaient leur commerce,
vendant ou vantant leurs poissons aux ouvriers ou aux habitants de
la ville, d'Artagnan avait gagne peu a peu du terrain, et, rassure
par le peu d'attention qu'on lui accordait, il commenca a jeter un
regard intelligent et assure sur les hommes et les choses qui
apparaissaient a ses yeux.
Au reste, les premiers regards de d'Artagnan rencontrerent des
mouvements de terrain auxquels l'oeil d'un soldat ne pouvait se
tromper.
Aux deux extremites du port, afin que les feux se croisassent sur
le grand axe de l'ellipse formee par le bassin, on avait eleve
d'abord deux batteries destinees evidemment a recevoir des pieces
de cote, car d'Artagnan vit les ouvriers achever les plates-formes
et disposer la demi-circonference en bois sur laquelle la roue des
pieces doit tourner pour prendre toutes les directions au-dessus
de l'epaulement. A cote de chacune de ces batteries, d'autres
travailleurs garnissaient de gabions remplis de terre le
revetement d'une autre batterie. Celle-ci avait des embrasures, et
un conducteur de travaux appelait successivement les hommes qui,
avec des harts, liaient des saucissons, et ceux qui decoupaient
les losanges et les rectangles de gazon destines a retenir les
joncs des embrasures.
A l'activite deployee a ces travaux deja avances, on pouvait les
regarder comme termines; ils n'etaient point garnis de leurs
canons, mais les plates-formes avaient leurs gites et leurs
madriers tout dresses; la terre, battue avec soin, les avait
consolides, et, en supposant l'artillerie dans l'ile, en moins de
deux ou trois jours le port pouvait etre completement arme.
Ce qui etonna d'Artagnan, lorsqu'il reporta ses regards des
batteries de cote aux fortifications de la ville, fut de voir que
Belle-Ile etait defendue par un systeme tout a fait nouveau, dont
il avait entendu parler plus d'une fois au comte de La Fere comme
d'un grand progres, mais dont il n'avait point encore vu
l'application.
Ces fortifications n'appartenaient plus ni a la methode
hollandaise de Marollois, ni a la methode francaise du chevalier
Antoine de Ville, mais au systeme de Manesson Mallet, habile
ingenieur qui, depuis six ou huit ans a
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