it venu de Nantes avec un
chariot traine par un cheval tellement pareil a Furet pour la
couleur que d'Artagnan eut fait cent lieues avant de trouver mieux
pour apparier un attelage. Ce chariot renfermait divers gros
paquets enfermes dans de vieilles etoffes.
"Ce voyageur-la, se dit d'Artagnan, est de ma farine. Il me va, il
me convient. Je dois lui aller et lui convenir. M. Agnan, au
justaucorps gris et a la calotte rapee, n'est pas indigne de
souper avec le monsieur aux vieilles bottes et au vieux cheval."
Cela dit, d'Artagnan appela l'hote et lui commanda de monter sa
sarcelle, son tourteau et son cidre dans la chambre du monsieur
aux dehors modestes.
Lui-meme, gravissant, une assiette a la main, un escalier de bois
qui montait a la chambre, se mit a heurter a la porte.
-- Entrez! dit l'inconnu.
D'Artagnan entra la bouche en coeur, son assiette sous le bras,
son chapeau d'une main, sa chandelle de l'autre.
-- Monsieur, dit-il, excusez-moi, je suis comme vous un voyageur,
je ne connais personne dans l'hotel et j'ai la mauvaise habitude
de m'ennuyer quand je mange seul, de sorte que mon repas me parait
mauvais et ne me profite point. Votre figure, que j'apercus tout a
l'heure quand vous descendites pour vous faire ouvrir des huitres,
votre figure me revient fort; en outre, j'ai observe que vous
aviez un cheval tout pareil au mien, et que l'hote, a cause de
cette ressemblance sans doute, les a places cote a cote dans son
ecurie, ou ils paraissent se trouver a merveille de cette
compagnie. Je ne vois donc pas, monsieur, pourquoi les maitres
seraient separes, quand les chevaux sont reunis. En consequence,
je viens vous demander le plaisir d'etre admis a votre table. Je
m'appelle Agnan, Agnan pour vous servir, monsieur, intendant
indigne d'un riche seigneur qui veut acheter des salines dans le
pays et m'envoie visiter ses futures acquisitions. En verite,
monsieur, je voudrais que ma figure vous agreat autant que la
votre m'agree, car je suis tout votre en honneur.
L'etranger, que d'Artagnan voyait pour la premiere fois, car
d'abord il ne l'avait qu'entrevu, l'etranger avait des yeux noirs
et brillants, le teint jaune, le front un peu plisse par le poids
de cinquante annees, de la bonhomie dans l'ensemble des traits,
mais de la finesse dans le regard.
"On dirait, pensa d'Artagnan, que ce gaillard-la n'a jamais exerce
que la partie superieure de sa tete, l'oeil et le cerveau et ce
doit etre un homme de sci
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