tous les mouvements de son ame, pour en
faire des regles de conduite, son front que les affaires ne
ridaient jamais, etait ce soir-la plus pale que de coutume, et
plus d'un oeil ami remarqua cette paleur.
Fouquet se mit au centre de la table et presida gaiement le
souper. Il raconta l'expedition de Vatel a La Fontaine.
Il raconta l'histoire de Menneville et du poulet maigre a
Pellisson, de telle facon que toute la table l'entendit.
Ce fut alors une tempete de rires et de railleries qui ne s'arreta
que sur un geste grave et triste de Pellisson. L'abbe Fouquet, ne
sachant pas a quel propos son frere avait engage la conversation
sur ce sujet, ecoutait de toutes ses oreilles et cherchait sur le
visage de Gourville ou sur celui du surintendant une explication
que rien ne lui donnait.
Pellisson prit la parole.
-- On parle donc de M. Colbert? dit-il.
-- Pourquoi non, repliqua Fouquet, s'il est vrai, comme on le dit,
que le roi l'ait fait son intendant?
A peine Fouquet eut-il laisse echapper cette parole, prononcee
avec une intention marquee, que l'explosion se fit entendre parmi
les convives.
-- Un avare! dit l'un.
-- Un croquant! dit l'autre.
-- Un hypocrite! dit un troisieme.
Pellisson echangea un regard profond avec Fouquet.
-- Messieurs, dit-il, en verite, nous maltraitons la un homme que
nul ne connait: ce n'est ni charitable, ni raisonnable, et voila
M. le surintendant qui, j'en suis sur, est de cet avis.
-- Entierement, repliqua Fouquet. Laissons les poulets gras de
M. Colbert, il ne s'agit aujourd'hui que des faisans truffes de
M. Vatel.
Ces mots arreterent le nuage sombre qui precipitait sa marche au-
dessus des convives.
Gourville anima si bien les poetes avec le vin de Joigny; l'abbe,
intelligent comme un homme qui a besoin des ecus d'autrui, anima
si bien les financiers et les gens d'epee, que, dans les
brouillards de cette joie et les rumeurs de la conversation,
l'objet des inquietudes disparut completement.
Le testament du cardinal Mazarin fut le texte de la conversation
au second service et au dessert; puis Fouquet commanda qu'on
portat les bassins de confiture et les fontaines de liqueurs dans
le salon attenant a la galerie. Il s'y rendit, menant par la main
une femme, reine, ce soir-la, par sa preference.
Puis les violons souperent, et les promenades dans la galerie,
dans le jardin commencerent, par un ciel de printemps doux et
parfume. Pellisson vint alors aupres du s
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