urintendant et lui dit:
-- Monseigneur a un chagrin?
-- Un grand, repondit le ministre; faites-vous conter cela par
Gourville.
Pellisson, en se retournant, trouva La Fontaine qui lui marchait
sur les deux pieds. Il lui fallut ecouter un vers latin que le
poete avait compose sur Vatel.
La Fontaine, depuis une heure, scandait ce vers dans tous les
coins et lui cherchait un placement avantageux. Il crut tenir
Pellisson, mais celui-ci lui echappa. Il se retourna sur Loret,
qui, lui, venait de composer un quatrain en l'honneur du souper et
de l'amphitryon. La Fontaine voulut en vain placer son vers; Loret
voulait placer son quatrain.
Il fut oblige de retrograder devant M. le comte de Chanost, a qui
Fouquet venait de prendre le bras.
L'abbe Fouquet sentit que le poete, distrait comme toujours,
allait suivre les deux causeurs: il intervint.
La Fontaine se cramponna aussitot et recita son vers.
L'abbe, qui ne savait pas le latin, balancait la tete en cadence,
a chaque mouvement de roulis que La Fontaine imprimait a son
corps, selon les ondulations des dactyles ou des spondees. Pendant
ce temps, derriere les bassins de confiture, Fouquet racontait
l'evenement a M. de Chanost, son gendre.
-- Il faut envoyer les inutiles au feu d'artifice, dit Pellisson a
Gourville, tandis que nous causerons ici.
-- Soit, repliqua Gourville, qui dit quatre mots a Vatel.
Alors on vit ce dernier emmener vers les jardins la majeure partie
des muguets, des dames et des babillards, tandis que les hommes se
promenaient dans la galerie, eclairee de trois cents bougies de
cire, au vu de tous les amateurs du feu d'artifice, occupes a
courir le jardin.
Gourville s'approcha de Fouquet. Alors, il lui dit:
-- Monsieur, nous sommes tous ici.
-- Tous? dit Fouquet.
-- Oui, comptez.
Le surintendant se retourna et compta. Il y avait huit personnes.
Pellisson et Gourville marchaient en se tenant par le bras, comme
s'ils causaient de sujets vagues et legers.
Loret et deux officiers les imitaient en sens inverse. L'abbe
Fouquet se promenait seul.
Fouquet, avec M. de Chanost, marchait aussi comme s'il eut ete
absorbe par la conversation de son gendre.
-- Messieurs, dit-il, que personne de vous ne leve la tete en
marchant et ne paraisse faire attention a moi; continuez de
marcher, nous sommes seuls, ecoutez-moi.
Un grand silence se fit, trouble seulement par les cris lointains
des joyeux convives qui prenaient place dan
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