on poignet, son
epaule, formaient trois coins qu'il savait enfoncer avec art dans
les groupes pour les faire eclater et se disjoindre comme des
morceaux de bois. Souvent il usait comme renfort de la poignee en
fer de son epee. Il l'introduisait entre des cotes trop rebelles,
et la faisant jouer, en guise de levier ou de pince, separait a
propos l'epoux de l'epouse, l'oncle du neveu, le frere du frere.
Tout cela si naturellement et avec de si gracieux sourires, qu'il
eut fallu avoir des cotes de bronze pour ne pas crier merci quand
la poignee faisait son jeu, ou des coeurs de diamant pour ne pas
etre enchante quand le sourire s'epanouissait sur les levres du
mousquetaire. Raoul, suivant son ami, menageait les femmes, qui
admiraient sa beaute, contenait les hommes, qui sentaient la
rigidite de ses muscles, et tous deux fendaient, grace a cette
manoeuvre, l'onde un peu compacte et un peu bourbeuse du
populaire.
Ils arriverent en vue des deux potences, et Raoul detourna les
yeux avec degout. Pour d'Artagnan, il ne les vit meme pas; sa
maison au pignon dentele, aux fenetres pleines de curieux,
attirait, absorbait meme toute l'attention dont il etait capable.
Il distingua dans la place et autour des maisons bon nombre de
mousquetaires en conge, qui, les uns avec des femmes, les autres
avec des amis, attendaient l'instant de la ceremonie. Ce qui le
rejouit par-dessus tout, ce fut de voir que le cabaretier, son
locataire, ne savait auquel entendre.
Trois garcons ne pouvaient suffire a servir les buveurs. Il y en
avait dans la boutique, dans les chambres, dans la cour meme.
D'Artagnan fit observer cette affluence a Raoul et ajouta:
-- Le drole n'aura pas d'excuse pour ne pas payer son terme. Vois
tous ces buveurs, Raoul, on dirait des gens de bonne compagnie.
Mordioux! mais on n'a pas de place ici.
Cependant d'Artagnan reussit a attraper le patron par le coin de
son tablier et a se faire reconnaitre de lui.
-- Ah! monsieur le chevalier, dit le cabaretier a moitie fou, une
minute, de grace! J'ai ici cent enrages qui mettent ma cave sens
dessus dessous.
-- La cave, bon, mais non le coffre-fort.
-- Oh! monsieur, vos trente-sept pistoles et demie sont la-haut
toutes comptees dans ma chambre; mais il y a dans cette chambre
trente compagnons qui sucent les douves d'un petit baril de porto
que j'ai defonce ce matin pour eux... Donnez-moi une minute, rien
qu'une minute.
-- Soit, soit.
-- Je m'en vais, dit Raoul
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