dit le jeune homme, si M. le comte
n'a pas affaire de moi.
-- Non, Raoul; j'ai audience aujourd'hui de Monsieur, frere du
roi, voila tout.
Raoul demanda son epee a Grimaud, qui la lui apporta sur-le-champ.
-- Alors, ajouta d'Artagnan ouvrant ses deux bras a Athos, adieu,
cher ami!
Athos l'embrassa longuement, et le mousquetaire, qui comprit bien
sa discretion, lui glissa a l'oreille:
-- Affaire d'Etat!
Ce a quoi Athos ne repondit que par un serrement de main plus
significatif encore.
Alors ils se separerent. Raoul prit le bras de son vieil ami, qui
l'emmena par la rue Saint-Honore.
-- Je te conduis chez le dieu Plutus, dit d'Artagnan au jeune
homme; prepare-toi; toute la journee tu verras empiler des ecus.
Suis-je change, mon Dieu!
-- Oh! oh! voila bien du monde dans la rue, dit Raoul.
-- Est-ce procession, aujourd'hui? demanda d'Artagnan a un
flaneur.
-- Monsieur, c'est pendaison, repliqua le passant.
-- Comment! pendaison, fit d'Artagnan, en Greve?
-- Oui, monsieur.
-- Diable soit du maraud qui se fait pendre le jour ou j'ai besoin
d'aller toucher mon terme de loyer! s'ecria d'Artagnan. Raoul, as-
tu vu pendre?
-- Jamais, monsieur... Dieu merci!
-- Voila bien la jeunesse... Si tu etais de garde a la tranchee,
comme je le fus, et qu'un espion... Mais, vois-tu, pardonne,
Raoul, je radote... Tu as raison, c'est hideux de voir pendre... A
quelle heure pendra-t-on, monsieur, s'il vous plait?
-- Monsieur, reprit le flaneur avec deference, charme qu'il etait
de lier conversation avec deux hommes d'epee, ce doit etre pour
trois heures.
-- Oh! il n'est qu'une heure et demie, allongeons les jambes, nous
arriverons a temps pour toucher mes trois cent soixante-quinze
livres et repartir avant l'arrivee du patient.
-- Des patients, monsieur, continua le bourgeois, car ils sont
deux.
-- Monsieur, je vous rends mille graces, dit d'Artagnan, qui, en
vieillissant, etait devenu d'une politesse raffinee.
En entrainant Raoul, il se dirigea rapidement vers le quartier de
la Greve.
Sans cette grande habitude que le mousquetaire avait de la foule
et le poignet irresistible auquel se joignait une souplesse peu
commune des epaules, ni l'un ni l'autre des deux voyageurs ne fut
arrive a destination.
Ils suivaient le quai qu'ils avaient gagne en quittant la rue
Saint-Honore, dans laquelle ils s'etaient engages apres avoir pris
conge d'Athos.
D'Artagnan marchait le premier: son coude, s
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