s avez mis le doigt
sur la question.
-- Et si l'on ne fortifie pas, Sire?
-- Vous vous promenerez dans la Bretagne, ecoutant et jugeant.
D'Artagnan se chatouilla la moustache.
-- Je suis espion du roi, dit-il tout net.
-- Non, monsieur.
-- Pardon, Sire, puisque j'epie pour le compte de Votre Majeste.
-- Vous allez a la decouverte, monsieur. Est-ce que si vous
marchiez a la tete de mes mousquetaires, l'epee au poing, pour
eclairer un lieu quelconque ou une position de l'ennemi...
A ce mot, d'Artagnan tressaillit invisiblement.
-- ... Est-ce que, continua le roi, vous vous croiriez un espion?
-- Non, non! dit d'Artagnan pensif; la chose change de face quand
on eclaire l'ennemi; on n'est qu'un soldat... Et si l'on fortifie
Belle-Ile? ajouta-t-il aussitot.
-- Vous prendrez un plan exact de la fortification.
-- On me laissera entrer?
-- Cela ne me regarde pas, ce sont vos affaires. Vous n'avez donc
pas entendu que je vous reservais un supplement de vingt mille
livres par an, si vous vouliez?
-- Si fait, Sire; mais si l'on ne fortifie pas?
-- Vous reviendrez tranquillement, sans fatiguer votre cheval.
-- Sire, je suis pret.
-- Vous debuterez demain par aller chez M. le surintendant toucher
le premier quartier de la pension que je vous fais. Connaissez-
vous M. Fouquet?
-- Fort peu, Sire; mais je ferai observer a Votre Majeste qu'il
n'est pas tres urgent que je le connaisse.
-- Je vous demande pardon, monsieur; car il vous refusera l'argent
que je veux vous faire toucher, et c'est ce refus que j'attends.
-- Ah! fit d'Artagnan. Apres, Sire?
-- L'argent refuse, vous irez le chercher pres de M. Colbert. A
propos, avez-vous un bon cheval?
-- Un excellent, Sire.
-- Combien le payates-vous?
-- Cent cinquante pistoles.
-- Je vous l'achete. Voici un bon de deux cents pistoles.
-- Mais il me faut un cheval pour voyager, Sire?
-- Eh bien?
-- Eh bien! vous me prenez le mien.
-- Pas du tout; je vous le donne, au contraire. Seulement, comme
il est a moi et non plus a vous, je suis sur que vous ne le
menagerez pas.
-- Votre Majeste est donc pressee?
-- Beaucoup.
-- Alors qui me force d'attendre deux jours?
-- Deux raisons a moi connues.
-- C'est different. Le cheval peut rattraper ces deux jours sur
les huit qu'il a a faire; et puis il y a la poste.
-- Non, non, la poste compromet assez, monsieur d'Artagnan. Allez
et n'oubliez pas que vous etes a moi.
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