n, pensa le mousquetaire, tu
me mettras a mon aise: aussi bien, je n'ai pas l'autre jour, a
Blois, vide le fond du sac."
Louis se leva, passa une main sur son front; puis, s'arretant vis-
a-vis de d'Artagnan, il le regarda d'un air imperieux et
bienveillant tout a la fois.
"Que me veut-il? Voyons, qu'il finisse", pensa le mousquetaire.
-- Monsieur, dit le roi, vous savez sans doute que M. le cardinal
est mort?
-- Je m'en doute, Sire.
-- Vous savez par consequent que je suis maitre chez moi?
-- Ce n'est pas une chose qui date de la mort du cardinal, Sire;
on est toujours maitre chez soi quand on veut.
-- Oui; mais vous vous rappelez tout ce que vous m'avez dit a
Blois?
"Nous y voici, pensa d'Artagnan; je ne m'etais pas trompe. Allons,
tant mieux! c'est signe que j'ai le flair assez fin encore."
-- Vous ne me repondez pas? dit Louis.
-- Sire, je crois me souvenir...
-- Vous croyez seulement?
-- Il y a longtemps.
-- Si vous ne vous rappelez pas, je me souviens, moi. Voici ce que
vous m'avez dit; ecoutez avec attention.
-- Oh! j'ecoute de toutes mes oreilles, Sire; car
vraisemblablement la conversation tournera d'une facon
interessante pour moi.
Louis regarda encore une fois le mousquetaire. Celui-ci caressa la
plume de son chapeau, puis sa moustache, et attendit
intrepidement. Louis XIV continua:
-- Vous avez quitte mon service, monsieur, apres m'avoir dit toute
la verite?
-- Oui, Sire.
-- C'est-a-dire apres m'avoir declare tout ce que vous croyiez
etre vrai sur ma facon de penser et d'agir. C'est toujours un
merite. Vous commencates par me dire que vous serviez ma famille
depuis trente-quatre ans, et que vous etiez fatigue.
-- Je l'ai dit, oui, Sire.
-- Et vous avez avoue ensuite que cette fatigue etait un pretexte,
que le mecontentement etait la cause reelle.
-- J'etais mecontent, en effet; mais ce mecontentement ne s'est
trahi nulle part, que je sache, et si comme un homme de coeur,
j'ai parle haut devant Votre Majeste, je n'ai pas meme pense en
face de quelqu'un autre.
-- Ne vous excusez pas, d'Artagnan, et continuez de m'ecouter. En
me faisant le reproche que vous etiez mecontent, vous recutes pour
reponse une promesse; je vous dis: "Attendez." Est-ce vrai?
-- Oui, Sire, vrai comme ce que je vous disais.
-- Vous me repondites: "Plus tard? Non pas; tout de suite, a la
bonne heure!..." Ne vous excusez pas, vous dis-je... C'etait
naturel; mais vous n'aviez pas d
|