tait encore bien plus
dans cette supreme majeste de la mort; il n'osait donc entamer la
conversation, sentant que chaque parole devait avoir une portee,
non pas seulement sur les choses de ce monde, mais encore sur
celles de l'autre. Quant au cardinal, il n'avait qu'une pensee en
ce moment: sa donation. Ce n'etait point la douleur qui lui
donnait cet air abattu et ce regard morne; c'etait l'attente
devant de ce remerciement qui allait sortir de la bouche du roi,
et couper court a toute esperance de restitution. Ce fut Mazarin
qui rompit le premier le silence.
-- Votre Majeste, dit-il, est venue s'etablir a Vincennes?
Louis fit un signe de tete.
-- C'est une gracieuse faveur, continua Mazarin, qu'elle accorde a
un mourant, et qui lui rendra la mort plus douce.
-- J'espere, repondit le roi, que je viens visiter, non pas un
mourant, mais un malade susceptible de guerison.
Mazarin fit un mouvement de tete qui signifiait: "Votre Majeste
est bien bonne, mais j'en sais plus qu'elle la-dessus."
-- La derniere visite, dit-il, Sire, la derniere.
-- S'il en etait ainsi, monsieur le cardinal, dit Louis XIV, je
viendrais une derniere fois prendre les conseils d'un guide a qui
je dois tout.
Anne d'Autriche etait femme; elle ne put retenir ses larmes. Louis
se montra lui-meme fort emu, et Mazarin plus encore que ses deux
hotes, mais pour d'autres motifs.
Ici le silence recommenca; la reine essuya ses joues et Louis
reprit de la fermete.
-- Je disais, poursuivit le roi, que je devais beaucoup a Votre
Eminence.
Les yeux du cardinal devorerent Louis XIV, car il sentait venir le
moment supreme.
-- Et, continua le roi, le principal objet de ma visite etait un
remerciement bien sincere pour le dernier temoignage d'amitie que
vous avez bien voulu m'envoyer.
Les joues du cardinal se creuserent ses levres s'entrouvrirent et
le plus lamentable soupir qu'il eut jamais pousse se prepara a
sortir de sa poitrine.
-- Sire, dit-il, j'aurai depouille ma pauvre famille; j'aurai
ruine tous les miens, ce qui peut m'etre impute a mal; mais au
moins on ne dira pas que j'ai refuse de tout sacrifier a mon roi.
Anne d'Autriche recommenca ses pleurs.
-- Cher monsieur Mazarin, dit le roi d'un ton plus grave qu'on
n'eut du l'attendre de sa jeunesse, vous m'avez mal compris, a ce
que je vois.
Mazarin se souleva sur son coude.
-- Il ne s'agit point ici de ruiner votre chere famille, ni de
depouiller vos serviteurs; oh!
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