lesse qui n'echappa point au roi.
-- Acceptez donc et remerciez, insista Anne d'Autriche.
-- Que dit M. Fouquet? demanda Louis XIV.
-- Sa Majeste veut savoir ma pensee?
-- Oui.
-- Remerciez, Sire...
-- Ah! fit Anne d'Autriche.
-- Mais n'acceptez pas, continua Fouquet.
-- Et pourquoi cela? demanda Anne d'Autriche.
-- Mais vous l'avez dit vous-memes, madame, repliqua Fouquet,
parce que les rois ne doivent et ne peuvent recevoir de presents
de leurs sujets.
Le roi demeurait muet entre ces deux opinions si opposees.
-- Mais quarante millions! dit Anne d'Autriche du meme ton dont la
pauvre Marie-Antoinette dit plus tard: "Vous m'en direz tant!"
-- Je le sais, dit Fouquet en riant, quarante millions font une
belle somme, et une pareille somme pourrait tenter meme une
conscience royale.
-- Mais, monsieur, dit Anne d'Autriche, au lieu de detourner le
roi de recevoir ce present, faites donc observer a Sa Majeste,
vous dont c'est la charge, que ces quarante millions lui font une
fortune.
-- C'est precisement, madame, parce que ces quarante millions font
une fortune que je dirai au roi: "Sire, s'il n'est point decent
qu'un roi accepte d'un sujet six chevaux de vingt mille livres, il
est deshonorant qu'il doive sa fortune a un autre sujet plus ou
moins scrupuleux dans le choix des materiaux qui contribuaient a
l'edification de cette fortune."
-- Il ne vous sied guere, monsieur, dit Anne d'Autriche, de faire
une lecon au roi; procurez-lui plutot quarante millions pour
remplacer ceux que vous lui faites perdre.
-- Le roi les aura quand il voudra, dit en s'inclinant le
surintendant des finances.
-- Oui, en pressurant les peuples, fit Anne d'Autriche.
-- Eh! ne l'ont-ils pas ete, madame, repondit Fouquet, quand on
leur a fait suer les quarante millions donnes par cet acte? Au
surplus, Sa Majeste m'a demande mon avis, le voila; que Sa Majeste
me demande mon concours, il en sera de meme.
-- Allons, allons, acceptez, mon fils, dit Anne d'Autriche; vous
etes au dessus des bruits et des interpretations.
-- Refusez, Sire, dit Fouquet. Tant qu'un roi vit, il n'a d'autre
niveau que sa conscience, d'autre juge que son desir; mais, mort,
il a la posterite qui applaudit ou qui accuse.
-- Merci, ma mere, repliqua Louis en saluant respectueusement la
reine. Merci, monsieur Fouquet, dit-il en congediant civilement le
surintendant.
-- Acceptez-vous? demanda encore Anne d'Autriche.
-- Je reflechi
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