dant de
jeter un blame sur les riches de ce siecle?
-- Non, dit vivement Anne d'Autriche, non, Sire; ceux qui sont
riches en ce siecle, sous votre regne, sont riches parce que vous
l'avez bien voulu, et je n'ai contre eux ni rancune ni envie; ils
ont sans doute assez bien servi Votre Majeste pour que Votre
Majeste leur ait permis de se recompenser eux-memes. Voila ce que
j'entends dire par la parole que vous semblez me reprocher.
-- A Dieu ne plaise, madame, que je reproche jamais quelque chose
a ma mere!
-- D'ailleurs, continua Anne d'Autriche, le Seigneur ne donne
jamais que pour un temps les biens de la terre; le Seigneur, comme
correctif aux honneurs et a la richesse, le Seigneur a mis la
souffrance, la maladie, la mort, et nul, ajouta Anne d'Autriche
avec un douloureux sourire qui prouvait qu'elle faisait a elle-
meme l'application du funebre precepte, nul n'emporte son bien ou
sa grandeur dans le tombeau. Il en resulte que les jeunes
recoltent les fruits de la feconde moisson preparee par les vieux.
Louis ecoutait avec une attention croissante ces paroles
accentuees par Anne d'Autriche dans un but evidemment consolateur.
-- Madame, dit Louis XIV regardant fixement sa mere, on dirait, en
verite, que vous avez quelque chose de plus a m'annoncer?
-- Je n'ai rien absolument, mon fils; seulement, vous aurez
remarque ce soir que M. le cardinal est bien malade?
Louis regarda sa mere, cherchant une emotion dans sa voix, une
douleur dans sa physionomie. Le visage d'Anne d'Autriche semblait
legerement altere; mais cette souffrance avait un caractere tout
personnel.
Peut-etre cette alteration etait-elle causee par le cancer qui
commencait a la mordre au sein.
-- Oui, madame, dit le roi, oui, M. de Mazarin est bien malade.
-- Et ce serait une grande perte pour le royaume si Son Eminence
venait a etre appelee par Dieu. N'est-ce point votre avis comme le
mien, mon fils? demanda Anne d'Autriche.
-- Oui, madame, oui certainement, ce serait une grande perte pour
le royaume, dit Louis en rougissant; mais le peril n'est pas si
grand, ce me semble, et d'ailleurs M. le cardinal est jeune
encore. Le roi achevait a peine de parler, qu'un huissier souleva
la tapisserie et se tint debout, un papier a la main, en attendant
que le roi l'interrogeat.
-- Qu'est-ce que cela? demanda le roi.
-- Un message de M. de Mazarin, repondit l'huissier.
-- Donnez, dit le roi.
Et il prit le papier. Mais, au moment ou il
|