rs la tremontane (le nord) quelques hauteurs
qui, semees d'espace en espace, semblent des iles au milieu des flots.
C'est dans cette plaine qu'est Eregli, ville autrefois fermee, et
aujourd'hui dans un grand delabrement. J'y trouvai au moins des vivres;
car, dans mes quatre jours de marche depuis Tharse, la route ne m'avoit
offert que de l'eau. Les environs de la ville sont couverts de villages
habites en tres-grande partie par des Turcomans.
Au sortir d'Eregli nous trouvames deux gentilshommes du pays qui
paroissoient gens de distinction; ils firent beaucoup d'amitie au
mamelouck, et le menerent, pour le regaler a un village voisin dont les
habitations son toutes creusees dans le roc. Nous y passames la nuit; mais
moi je fus oblige de passer dans une caverne le reste du jour, pour y
garder nos chevaux. Quand le mamelouck revint, il me dit que ces deux
hommes lui avoient demande qui j'etois, et qu'il leur avoit repondu, en
leur donnant le change, que j'etois un Circassien qui ne savoit point
parler Arabe.
D'Eregli a Larande, ou nous allames, il y a deux journees. Cette ville-ci,
quoique non close, est grande, marchande et bien situee. Il y avoit
autrefois au centre un grand et fort chateau dont on voit encore les
portes, qui sont en fer et tres-belles; mais les murs sont abbatus. D'une
ville a l'autre on a, comme je l'ai dit, un beau pays plat; et depuis Leve
je n'ai pas vu un seul arbre qui fut en rase campagne.
Il y avoit a Larande deux gentilshommes de Cypre, dont l'un s'appelloit
Lyachin Castrico; l'autre, Leon Maschero, et qui tous deux parloient assez
bien Francais. [Footnote: Les Lusignan, devenus rois de Cypre sur la fin du
douzieme siecle, avoient introduit dans cette ile la langue Francaise.
C'est en Cypre, au passage de saint Louis pour sa croisade d'Egypte que fut
fait et publie ce code qu'on appela Assises de Jerusalem, et qui devint le
code des Cypriots. La langue Francaise continua d'etre celle de la cour et
des gens bien eleves.] Ils me demanderent quelle etoit ma patrie, et
comment je me trouvais la. Je leur repondis que j'etois serviteur de
monseigneur de Bourgogne, que je venois de Jerusalem et de Damas, et que
j'avois suivi la caravane. Ils me parurent tres-emerveilles de ce que
j'avois pu passer; mais quand ils m'eurent demande ou j'allois, et que
j'ajoutai que je retournois par terre en France vers mondit seigneur, ils
me dirent que c'etoit chose impossible, et que, quand j'aurois mille vies,
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