rares endroits qui echappaient a l'horreur, tout dans
Paris offrait l'image d'une ville devastee par quelque grand cataclysme;
des centaines de maisons flambaient; des milliers de cadavres jonchaient
les rues.
Voila ce que les Pardaillan virent en cette matinee de dimanche, fete de
saint Barthelemy:
Obstinement, ils cherchaient a piquer droit sur l'hotel Montmorency;
ils reculaient jusqu'aux confins de Paris, revenaient a la charge,
entraines, pousses en avant, ramenes en arriere, ballottes par le
cyclone qui ravageait la cite, l'universite et la ville.
XL
PROFILS DE GARGOUILLES
Quelle heure etait-il? Ils ne savaient pas. Ou etaient-ils? Ils ne
savaient pas. Ils etaient quelque part accroches a la borne cavaliere
qui se dressait sous un auvent ou les avait entraines un violent reflux
de peuple.
A dix pas, sur leur droite, on saccageait un hotel
Devant l'hotel, on dressait un bucher: les meubles les sieges de l'hotel
s'entassaient.
Alors, quelqu'un mit le feu au bucher.
Un homme parut, tenant dans ses bras un cadavre.
"Vive Pezou!" hurlait la foule autour du bucher.
Le cadavre, c'etait celui du duc de La Rochefoucauld. L homme, c'etait
Pezou. Le chevalier de Pardaillan le distingua nettement dans les
tourbillons de fumee Pezou avait les bras nus. Il avait la marche et
l'attitude du tigre; autour de lui, sa bande avait les memes faces
crispees; les memes yeux flamboyants les memes bouches aux levres
retroussees... des tigres! Il n'y avait la que des tigres...
--Ca fait le quarantieme! hurla l'un d'eux. Bravo Pezou!
Pezou sourit, marcha sur le bucher, le cadavre dans les bras.
Le cadavre du malheureux La Rochefoucauld avait la gorge ouverte par une
large plaie d'ou le sang continuait a couler.
Pezou et sa bande entourerent le bucher qui deja flambait.
Pezou monta sur une table.
Alors, il leva le corps, comme pour le jeter au sommet de l'entassement.
Soudain, il le ramena a lui, violemment. Sa face prit l'expression du
fauve. Sa bouche, dans un geste de delire, se colla un instant a la
plaie rouge... puis il jeta le cadavre dans le feu, sa bouche apparut
sanglante et il sauta de la table en grognant:
--J'avais soif!...
Un hurlement prolonge de la foule salua la bande de tigres qui
s'elancait, disparaissait au coin de la rue, cherchant, quetant,
reniflant; Pezou grognait;
--Au quarante et unieme a present! M'en faut cent d'ici ce soir a moi
tout seul...
--Fuyons! Fuyon
|