faire au Bois sa banale
promenade, cela ne lui etait pas en realite une bien grande fatigue:
son oncle se montrait satisfait qu'elle l'accompagnat, elle etait
elle-meme contente du contentement de son oncle.
M. Haupois-Daguillon, en sa jeunesse beau garcon et homme a bonnes
fortunes, avait, malgre l'age et ses occupations commerciales, conserve
l'amour et le culte plastique, qui avaient failli faire de lui un
statuaire; il y avait peu d'hommes plus sensibles a la beaute feminine
que ce riche bourgeois. Sa niece eut ete laide ou mal batie, il ne l'eut
point pour cela repoussee; mais les sentiments de compassion qu'il eut
eprouves pour elle n'eussent en rien ressemble a ceux de tendre
sympathie qui tout de suite l'avaient touche lorsqu'apres une separation
de deux ans il l'avait revue. Car, loin d'etre laide ou mal batie, elle
etait au contraire fort belle et surtout admirablement modelee cette
jeune niece: son cou onduleux, sa poitrine pleine et ronde, ses epaules
tombantes sans saillies osseuses, son torse entier etaient dignes de la
sculpture, et comme sur ces epaules se dressait une tete gracieuse et
fine d'une beaute delicate, que la douleur en ces derniers temps avait
petrie pour lui donner quelque chose de tendre et de poetique, qu'elle
n'avait pas en sa premiere jeunesse, elle produisait une vive sensation
sur ceux qui la voyaient, alors meme qu'il ne la connaissaient pas. Et
pour suivre des yeux cette jeune fille en deuil a la demarche modeste,
il arrivait souvent qu'on se retournat ou qu'on s'arretat alors qu'elle
accompagnait son oncle qui, lui, s'avancait en vainqueur superbe: il
marchait la tete haute et ses favoris blancs tombaient sur une cravate
longue et sur une chemise d'une blancheur eblouissante formant le
plastron; cambrant sa poitrine bien prise dans une redingote boutonnee
qui maintenait au majestueux un ventre proeminent; tenant dans sa main
soigneusement gantee une canne dont la pomme en argent etait ciselee et
niellee avec art; frappant du talon de ses bottines l'asphalte du
trottoir; tendant le mollet, il passait a travers la foule, heureux de
sa bonne sante, satisfait de sa prestances, glorieux de sa fortune et
fier de l'impression que produisait sur les hommes celle qu'il promenait
a son bras.
En peu de temps Madeleine avait fait ainsi, selon le desir de Leon, la
conquete de son oncle et de sa tante, et si elle ne retrouva pas en eux
un pere et une mere, elle sentit au moins qu'elle etait
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