les bras au
ciel et j'ai dit a Dieu: "Mon Dieu! toi dont cet eclair est le
regard, toi dont ce tonnerre est la voix, si cet homme doit
mourir, eteins pendant dix minutes ton tonnerre et tes eclairs; le
silence des airs et l'obscurite du ciel seront ta reponse!" et, ma
montre a la main, j'ai compte onze minutes sans eclairs et sans
tonnerre... J'ai vu a la pointe du grand mont, par une tempete
terrible, une barque montee par un seul homme et qui menacait a
chaque instant d'etre submergee; une lame l'enleva comme le
souffle d'un enfant enleve une plume, et la laissa retomber sur un
rocher. La barque vola en morceaux, l'homme se cramponna au
rocher; tout le monde s'ecria: "Cet homme est perdu!" Son pere
etait la, ses deux freres etaient la et ni freres ni pere
n'osaient lui porter secours. Je levai les bras au Seigneur et je
dis: "Si Milliere est condamne, mon Dieu, par vous comme par moi,
je sauverai cet homme, et sans autre secours que vous, je me
sauverai moi-meme." Je me deshabillai, je nouai le bout d'une
corde autour de mon bras, et je nageai jusqu'au rocher. On eut dit
que la mer s'aplanissait sous ma poitrine; j'atteignis l'homme.
Son pere et ses freres tenaient l'autre bout de la corde. Il gagna
le rivage. Je pouvais y revenir comme lui, en fixant ma corde au
rocher. Je la jetai loin de moi, et me confiai a Dieu et aux
flots; les flots me porterent au rivage aussi doucement et aussi
surement que les eaux du Nil porterent le berceau de Moise vers la
fille de Pharaon. Une sentinelle ennemie etait placee en avant du
village de Saint-Nolf; j'etais cache dans le bois de Grandchamp
avec cinquante hommes. Je sortis seul du bois en recommandant mon
ame a Dieu et en disant: "Seigneur, si vous avez decide la mort de
Milliere, cette sentinelle tirera sur moi et me manquera, et, moi,
je reviendrai vers les miens sans faire de mal a cette sentinelle,
car vous aurez ete avec elle un instant." Je marchai au
republicain; a vingt pas, il fit feu sur moi et me manqua. Voici
le trou de la balle dans mon chapeau, a un pouce de ma tete; la
main de Dieu elle-meme a leve l'arme. C'est hier que la chose est
arrivee. Je croyais Milliere a Nantes. Ce soir, on est venu
m'annoncer que Milliere et sa guillotine etaient a la Roche-
Bernard. Alors j'ai dit: "Dieu me l'amene, il va mourir!"
Roland avait ecoute avec un certain respect la superstitieuse
narration du chef breton. Il ne s'etonnait point de trouver cette
croyance et cette poesie
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