tait aux
fenetres pour les voir.
A mon arrivee a Chalons, la gare et les salles d'attente, les cours,
les hangars, etaient remplis d'eclopes et de blesses couches par
terre, etendus sur des bancs, s'appuyant aux murs. La etaient les
debris vivants des meurtrieres rencontres des premiers jours: dragons,
zouaves, chasseurs de Vincennes, turcos, soldats de la ligne,
hussards, lanciers, tous haves, silencieux, mornes, trainant ce qui
leur restait de souffle. Point de paille, point d'ambulance, point de
medecins. Ils attendaient qu'un convoi les prit. Des centaines de
wagons encombraient la voie. Il fallait dix manoeuvres pour le passage
d'un train. Le personnel de la gare ne dormait plus, etait sur les
dents.
Au moment ou nous allions quitter Paris, nous avions eu la nouvelle
de ces defaites, sitot suivies d'irreparables desastres. Maintenant
j'avais sous les yeux le temoignage sanglant et mutile de ces chocs
terribles au devant desquels on avait couru d'un coeur si leger. Mon
ardeur n'en etait pas diminuee; mais la pitie me prenait a la gorge a
la vue de ces malheureux, dont plusieurs attendaient encore un premier
pansement. Quoi! tant de miseres et si peu de secours!
Le chemin de fer etabli pour le service du camp emmena les mobiles au
Petit-Mourmelon, d'ou une premiere etape les conduisit a leur
campement, le sac au dos. Pour un garcon qui, la veille encore,
voyageait a Paris en voiture et n'avait fatigue ses pieds que sur
l'asphalte du boulevard, la transition etait brusque. Ce ne fut donc
pas sans un certain sentiment de bonheur que j'apercus la tente dans
laquelle je devais prendre gite, moi seizieme. L'espace n'etait pas
immense, et quelques vents coulis, qui avaient, quoique au coeur de
l'ete, des fraicheurs de novembre, passaient bien par les fentes de la
toile et les interstices laisses au ras du sol; mais il y avait de la
paille, et, serres les uns contre les autres, se servant mutuellement
de caloriferes, les mobiles, la fatigue aidant, dormirent comme des
soldats.
Aux premieres lueurs du jour, un coup de canon retentit: c'etait le
reveil. Comme des abeilles sortent des ruches, des milliers de mobiles
s'echappaient des tentes, en s'etirant. L'un avait le bras endolori,
l'autre la jambe engourdie. Le concert des plaintes commenca.
L'element comique s'y melait a haute dose; quelques-uns s'etonnerent
qu'on les eut reveilles si tot, d'autres se plaignirent de n'avoir pas
de cafe a la creme. Au nombre de ce
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