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le chef du poste se jeta resolument, le sabre a la main, sur ceux qui
serraient de plus pres le pauvre diable; ses soldats en firent autant
pour les autres, jouant un peu de la baionnette par-ci par-la. Eu
quelques moments la place etait libre; les torches, abandonnees par
leurs porteurs, gisaient a terre et les fuyards disparaissaient en toute
hate dans les rues voisines. Bien entendu, la victime etait restee aux
mains de la garde nationale sans autre mal qu'un coup de baionnette dans
la joue et un coup de couteau dans l'epaule. C'etait, du reste, un assez
triste personnage, pis qu'un sbire; c'etait un traitre qui avait vendu
ses camarades lors de l'affaire du couvent de la Ganzza. Malgre cela,
Garibaldi, le lendemain, lui faisait donner un sauf-conduit et le
faisait embarquer sur un batiment en partance pour Naples.
Plusieurs histoires de ce genre finirent par faire prendre la garde
nationale plus serieusement par le nouveau gouvernement. Il y avait
aussi quelquefois des manifestations.
La manifestation est une chose assez inconnue dans notre pays. C'est une
coutume tout italienne. On vous dit le matin: il y aura ce soir
manifestation pour tel motif ou contre tel autre. A l'heure dite, vous
voyez une longue procession de promeneurs a pied, en voiture, a cheval,
qui viennent defiler sous les fenetres de l'autorite, ou meme tout
simplement se poser devant elles avec calme, y sejourner quelques
instants, puis se retirer comme elle est venue. Quelques vivat s'en
melent; mais c'est une exception. On fait une manifestation en faveur
d'un ministre ou contre un autre. On fait une manifestation pour feter
l'arrivee d'un general ou d'un etranger de distinction. Dans ce cas, les
plus huppes des deux sexes, parmi les acteurs, montent dans le salon du
noble general ou etranger, lui adressent leurs compliments de bienvenue.
Alexandre Dumas, qui etait loge au Palazzo-Reale, ne put l'echapper, et
fut le heros d'une ceremonie de ce genre. Une foule enthousiaste vint,
une apres-midi, encombrer brusquement la place vis-a-vis ses fenetres,
et s'egosiller aux cris de _Viva Dumas! viva l'Italia! viva Dumas! viva
la liberta! viva Garibaldi! viva Dumas!_ etc.--"Qu'est-ce que Dumas?
disait l'un a son voisin.--Je ne sais pas, disait l'autre.--C'est le
frere du roi de Naples, ou bien encore c'est un prince circassien
accable de richesses qui vient mettre a la disposition de la liberte
sicilienne ses sujets et son vaisseau." Il va sans dir
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