'etait-ce pas bien ose d'essayer le passage d'un detroit occupe par une
escadre ennemie, sous le feu croise de ses bateaux a vapeur et de ses
forts, sans autres ressources qu'une quantite de barques qui, au moment
de l'action, seraient encombrees de soldats et dont quatre ou cinq a
peine portaient de petits pierriers? Sans un seul batiment de guerre
pour proteger le passage, a peine avait-on deux ou trois petits vapeurs
pour servir de remorque. Si l'on ajoute encore a tant de desavantages et
de probabilites d'insucces les obstacles materiels que la violence des
courants du detroit et la difference de marche des embarcations devaient
apporter a un ordre regulier de debarquement, la confusion inevitable de
toute operation militaire nocturne, on avouera qu'a l'idee des entraves
qui pouvaient retarder et meme faire echouer l'entreprise, chacun avait
le droit de craindre pour le premier acte d'un drame dont le denoument
devait se jouer a Naples.
Quoi qu'il en soit, le general Garibaldi avait commence, des le 8, a
masser ses troupes dans les environs du Faro. Pres de quinze mille
hommes y furent campes; au premier ordre, ils devaient se jeter dans les
barques et tenter le passage sous la protection des batteries du Faro.
La flottille se composait de plus de trois cents bateaux hales a sec sur
la plage les uns contre les autres et les equipages bivouaquaient a cote
de chaque embarcation. Elle etait organisee en plusieurs divisions.
L'une d'elles etait commandee par un ex-lieutenant de vaisseau de la
marine francaise, M. de Flotte, ancien representant du peuple, qui, a
quelques jours de la, comme Roselino Pilo, devait trouver la mort a la
tete de son petit bataillon ou, plutot, de sa compagnie de marins
francais. Ce bataillon n'etait pas un des elements les moins curieux de
l'armee nationale. Pour servir l'etranger, quelle qu'en fut la cause,
aucun de ses membres n'avait mis de cote ni oublie les moeurs
traditionnelles et les allures debrouillardes du troupier francais.
Aussi, appelait-on cette compagnie, le bataillon des _croque-poules_.
Au milieu de ces sables inhospitaliers, lorsque, generalement, presque
tout le monde restait sur un appetit feroce, oblige de serrer autant que
possible les ceinturons et de grignoter de maigres pitances, le
bataillon des croque-poules menait joyeuse vie et faisait bombance. On y
mangeait des brochettes d'alouettes, des fricassees de pigeons, voire
des rotis de gibier; on s'y procurait meme de
|