tir de ce soir, tu auras une chambre
au chateau et tu mangeras avec moi. Je prevois que je vais
entretenir avec les Indes un echange de lettres et de depeches que
tu seras seule a connaitre. Il faut que je prenne mes precautions
pour qu'on ne cherche pas a t'arracher de force, ou a te tirer
adroitement des renseignements qui doivent rester secrets. Pres de
moi, tu seras defendue. De plus, ce sera ma reponse a ceux qui ont
voulu te faire parler, aussi bien que ce sera un avertissement a
ceux qui voudraient le tenter encore. Enfin, ce sera une
recompense pour toi."
Perrine, qui avait commence par trembler, s'etait bien vite
rassuree; maintenant, elle etait si violemment secouee par la joie
qu'elle ne trouva pas un mot a repondre.
"Ma confiance en toi m'est venue du courage que tu as montre dans
la lutte contre la misere; quand on est brave comme tu l'as ete,
on est honnete; tu viens de me prouver que je ne me suis pas
trompe, et que je peux me fier a toi, comme si je te connaissais
depuis dix ans. Depuis que tu es ici tu as du entendre parler de
moi avec envie: etre a la place de M. Vulfran, etre M. Vulfran,
quel bonheur! La verite est que la vie m'est dure, tres dure, plus
penible, plus difficile que pour le plus miserable de mes
ouvriers. Qu'est la fortune sans la sante qui permet d'en jouir?
le plus lourd des fardeaux. Et celui qui charge mes epaules
m'ecrase. Tous les matins, je me dis que sept mille ouvriers
vivent par moi, vivent de moi, pour qui je dois penser,
travailler, et que si je leur manquais ce serait un desastre, pour
tous la misere, pour un grand nombre la faim, la mort peut-etre.
Il faut que je marche pour eux, pour l'honneur de cette maison que
j'ai creee, qui est ma joie, ma gloire, -- et je suis aveugle!"
Une pause s'etablit et l'aprete de cette plainte emplit de larmes
les yeux de Perrine; mais bientot M. Vulfran reprit:
"Tu devais savoir par les conversations du village, et tu sais par
la lettre que tu as traduite, que j'ai un fils; mais entre ce fils
et moi, il y a eu, pour toutes sortes de raisons dont je ne veux
pas parler, des dissentiments graves qui nous ont separes et qui,
apres son mariage conclu malgre mon opposition, ont amene une
rupture complete, mais n'ont pas eteint mon affection pour lui,
car je l'aime, apres tant d'annees d'absence, comme s'il etait
encore l'enfant que j'ai eleve, et quand je pense a lui, c'est-a-
dire le jour et la nuit si longs pour moi, c'est le petit en
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