ns, elle put se rendre compte de ce qu'etait la
gazelle, et que M. Vulfran, en rentrant au chateau au moment du
diner, lui demanda ce qu'elle en pensait.
"Quelle catastrophe c'eut ete, -- Mlle Belhomme employait
volontiers des mots grands et forts comme elle, -- quelle
catastrophe c'eut ete que cette jeune fille restat sans culture!
-- Intelligente, n'est-ce pas!
-- Intelligente! Dites intelligentissime, si j'ose m'exprimer
ainsi.
-- L'ecriture? demanda M. Vulfran, qui dirigeait son
interrogatoire d'apres les besoins qu'il avait de Perrine.
-- Pas brillante, mais elle se formera.
-- L'orthographe?
-- Faible.
-- Alors?
-- J'aurais pu, pour la juger, lui faire faire une dictee qui
m'aurait montre precisement son ecriture et son orthographe; mais
cela seulement. J'ai voulu prendre d'elle une meilleure opinion,
et je lui ai demande une petite narration sur Maraucourt; en vingt
lignes, ou cent lignes, me dire ce qu'etait le pays, comment elle
le voyait. En moins d'une heure, au courant de la plume, sans
chercher ses mots, elle m'a ecrit quatre grandes pages vraiment
extraordinaires: tout s'y trouve reuni, le village lui-meme, les
usines, le paysage general, l'ensemble aussi bien que le detail;
il y a une page sur les entailles avec leur vegetation, leurs
oiseaux et leurs poissons, leur aspect dans les vapeurs du matin
et l'air pur du soir, que j'aurais cru copiee dans un bon auteur,
si je ne l'avais vu ecrire. Par malheur la calligraphie et
l'orthographe sont ce que je vous ai dit, mais qu'importe! c'est
une affaire de quelques mois de lecons, tandis que toutes les
lecons du monde ne lui apprendraient pas a ecrire, si elle n'avait
pas recu le don de voir et de sentir, et aussi de rendre ce
qu'elle voit et ce qu'elle sent. Si vous en avez le loisir,
faites-vous lire cette page sur les entailles, elle vous prouvera
que je n'exagere pas."
Alors, M. Vulfran, que cette appreciation avait mis en belle
humeur, car elle calmait les objections qui lui etaient venues sur
son prompt engouement pour cette petite, raconta a Mlle Belhomme
comment Perrine avait habite une aumuche dans l'une de ces
entailles, et comment avec rien, si ce n'est ce qu'elle trouvait
sous sa main, elle avait su se fabriquer des espadrilles, et toute
une batterie de cuisine dans laquelle elle avait prepare un diner
complet, fourni par l'entaille elle-meme, ses oiseaux, ses
poissons, ses fleurs, ses herbes, ses fruits.
Le large visage
|