une fois assis
en voiture, il s'affaissa et, la tete inclinee en avant, il ne
prononca pas un mot.
Au bas du perron des bureaux, Talouel se tenait pret a le recevoir
et a l'aider a descendre; ce qu'il fit, obsequieusement:
"Je suppose que vous vous etes senti assez fort pour venir, dit-il
d'une voix compatissante qui contrastait avec l'eclat de ses yeux.
-- Je ne me suis pas senti fort du tout; mais je suis venu parce
que je devais venir.
-- C'est ce que je voulais dire..."
M. Vulfran lui coupa la parole en appelant Perrine et en se
faisant conduire par elle a son cabinet.
Bientot commenca le depouillement de la correspondance, qui etait
volumineuse, comprenant les lettres de deux jours; il le laissa se
faire, sans une seule observation, un seul ordre, comme s'il etait
sourd ou endormi.
Ensuite venait la reunion des chefs de services, dans laquelle
devait ce jour-la se decider une grosse question, qui engageait
serieusement les interets de la maison: devait-on vendre les
grandes provisions de jute qu'on avait aux Indes et en Angleterre,
en ne gardant que ce qui etait indispensable a la fabrication
courante des usines pendant un certain temps, ou bien devait-on
faire de nouveaux achats? en un mot se mettre a la hausse ou a la
baisse?
Habituellement les affaires de ce genre se traitaient avec une
methode rigoureuse, dont personne ne s'ecartait: chacun a tour de
role, en commencant par le plus jeune, donnait son avis et
developpait ses raisons; M. Vulfran ecoutait, et a la fin, faisait
connaitre la resolution qu'il se proposait de suivre; -- ce qui ne
voulait pas dire qu'il la suivrait, car plus d'une fois on
apprenait, six mois ou un an apres, qu'il avait fait precisement
le contraire de ce qu'il avait dit; mais en tout cas, il se
prononcait avec une nettete qui emerveillait ses employes, et
toujours la discussion aboutissait.
Ce matin-la la deliberation suivit sa marche ordinaire, chacun
expliqua ses raisons pour vendre ou pour acheter; mais quand vint
le tour de parole de Talouel, ce ne fut pas une affirmation que
celui-ci produisit, ce fut un doute:
"Je n'ai jamais ete si embarrasse; il y a de bien bonnes raisons
pour, mais il y en a de bien fortes contre."
Il etait sincere, en confessant cet embarras, car c'etait une
regle chez lui de suivre la discussion sur la physionomie du
maitre, bien plus que sur les levres de celui qui parlait, et de
se decider d'apres ce que disait cette physionomie
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