pas en situation
d'apprecier la morale de ces paroles, qui la blessaient par ce
qu'elles disaient, autant que parce qu'elle les entendait de la
bouche de Mlle Belhomme, pour qui elle s'etait vite prise d'une
affection respectueuse. Qu'une autre eut exprime ces idees, il lui
semblait que cela l'eut laissee indifferente, mais elle souffrait
de ce qu'elles etaient celles d'une femme en qui elle avait mis
une grande confiance.
En arrivant devant les ecoles elle se hata donc de la quitter.
"Pourquoi n'entrez-vous pas, nous dejeunerions ensemble, dit
Mlle Belhomme qui avait devine que son eleve ne devait pas prendre
place a la table de la famille.
-- Je vous remercie: M. Vulfran peut avoir besoin de moi.
-- Alors rentrez."
Mais en arrivant au chateau elle vit que M. Vulfran n'avait pas
besoin d'elle, et meme qu'il ne pensait pas du tout a elle; car
Bastien qu'elle rencontra dans l'escalier lui dit qu'en descendant
de voiture, M. Vulfran s'etait enferme dans son cabinet, ou
personne ne devait entrer:
"En un jour comme aujourd'hui, il ne veut meme pas dejeuner avec
la famille.
-- Elle reste, la famille?
-- Vous pensez bien que non; apres le dejeuner, tout le monde
part; je crois qu'il ne voudra meme pas recevoir les adieux de ses
parents. Ah! il est bien accable. Qu'est-ce que nous allons
devenir, mon Dieu! Il faudra nous aider.
-- Que puis-je?
-- Vous pouvez beaucoup: M. Vulfran a confiance en vous, et il
vous aime bien.
-- Il m'aime!
-- Je sais ce que je dis, et c'est gros, cela."
Comme Bastien l'avait annonce, toute la famille partit apres le
dejeuner; mais jusqu'au soir Perrine resta dans sa chambre sans
que M. Vulfran la fit appeler; ce fut seulement un peu avant le
coucher que Bastien vint lui dire que le patron la prevenait de se
tenir prete a l'accompagner le lendemain matin a l'heure
habituelle.
"Il veut se remettre au travail, mais le pourra-t-il? Ce sera le
mieux: le travail c'est sa vie."
Le lendemain a l'heure fixee, comme tous les matins elle se trouva
dans le hall, attendant M. Vulfran, et bientot elle le vit
paraitre, marchant courbe, conduit par Bastien, qui,
silencieusement fit un signe attriste pour dire que la nuit avait
ete mauvaise.
"Aurelie est-elle la?" demanda-t-il d'une voix alteree, dolente et
faible comme celle d'un enfant malade.
Elle s'avanca vivement:
"Me voila, monsieur.
-- Montons en voiture."
Elle eut voulu l'interroger, mais elle n'osa pas;
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