e, qui etait un vieux peigneur de
chanvre, s'avanca seul a quelques pas de ses camarades pour
debiter sa harangue qu'on lui avait fait repeter dix fois depuis
le matin:
Monsieur Vulfran, c'est pour vous feliciter que ... c'est pour
vous feliciter que ..."
Mais il resta court en faisant de grands bras, et la foule qui
voyait ses gestes eloquents crut qu'il debitait son discours.
Apres quelques secondes d'efforts pendant lesquelles il s'arracha
plusieurs poignees de cheveux gris, en tirant dessus comme s'il
peignait son chanvre, il dit:
"Voila la chose: j'avais un discours a vous dire, mais je peux pas
en retrouver un mot, ce que ca m'ennuie pour vous! enfin c'est
pour vous feliciter, vous remercier au nom de tous, et de bon
coeur."
Il leva la main solennellement:
"Je le jure, foi de Gathoye."
Pour etre incoherent ce discours n'en remua pas moins M. Vulfran,
qui etait dans un etat d'ame ou l'on ne s'arrete pas aux paroles;
la main toujours appuyee sur l'epaule de Perrine il s'avanca
jusqu'a la balustrade du perron et se trouva la comme dans une
tribune ou la foule le voyait:
"Mes amis, dit-il d'une voix forte, vos compliments d'amitie me
causent une joie d'autant plus grande que vous me les apportez
dans la journee la plus heureuse de ma vie, celle ou je viens de
retrouver ma petite-fille, la fille du fils que j'ai perdu; vous
la connaissez, vous l'avez vue a l'oeuvre, soyez surs qu'elle
continuera et developpera ce que nous avons fait ensemble, et
dites-vous que votre avenir, celui de vos enfants, est entre de
bonnes mains."
Disant cela, il se pencha vers Perrine, et sans qu'elle put s'en
defendre la prenant dans ses bras encore vigoureux, il la souleva,
et, la presentant a la foule, il l'embrassa.
Alors il s'eleva une acclamation poussee et repetee pendant
plusieurs minutes par des milliers de bouches d'hommes, de femmes,
d'enfants; puis, comme l'ordre de la fete avait ete bien regle,
aussitot le defile commenca et chacun en passant devant le vieux
patron et sa petite-fille salua ou fit la reverence.
"Si tu voyais les bonnes figures", dit Perrine.
Cependant il y en eut qui ne furent pas precisement radieuses:
celles des neveux, quand, la ceremonie terminee, ils vinrent
feliciter leur "cousine".
"Pour moi, dit Talouel qui avait voulu se donner le plaisir de se
joindre a eux, et qui d'autre part tenait a ne pas perdre de temps
pour faire sa cour a l'heritiere des usines, je l'avais toujour
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