llut continuer notre route. Si nous
gagnions peu, quand il pouvait inspirer confiance aux gens et les
decider a se faire photographier, combien moins encore y gagnames-
nous quand nous fumes seules! Plus tard aussi je te raconterai des
etapes de misere, qui durerent de novembre a mai, en plein hiver,
jusqu'a Paris. Par M. Fabry tu viens d'apprendre comment maman est
morte chez Grain de Sel, et cette mort je te la dirai plus tard
aussi avec les dernieres recommandations de maman pour venir ici."
Pendant que Perrine parlait, des rumeurs vagues venant des jardins
passaient dans l'air.
"Qu'est-ce que cela?" demanda M. Vulfran.
Perrine alla a la fenetre: les pelouses et les allees etaient
noires d'ouvriers endimanches, d'hommes, de femmes, d'enfants au-
dessus desquels flottaient des drapeaux, des bannieres; et de
cette foule de six a sept mille personnes entassees, et dont les
masses se continuaient en dehors du parc dans le jardin du Cercle,
la route, les prairies, s'elevait cette rumeur qui avait surpris
M. Vulfran et detourne son attention du recit de Perrine, si grand
qu'en fut l'interet.
"Qu'est-ce donc? repeta-t-il.
-- C'est aujourd'hui ton anniversaire, dit-elle, et les ouvriers
de toutes les usines ont decide de le celebrer en te remerciant
ainsi de ce que tu as fait pour eux.
-- Ah! vraiment, ah! vraiment!"
Il vint a la fenetre comme s'il pouvait les voir, mais il fut
reconnu, et aussitot courut de groupe en groupe une clameur qui en
se propageant devint formidable.
"Mon Dieu! qu'ils pourraient etre terribles s'ils etaient contre
nous, murmura-t-il, sentant pour la premiere fois la force de ces
masses qu'il commandait.
-- Oui, mais ils sont avec nous parce que nous sommes avec eux.
-- Et c'est a toi que cela est du, petite-fille; qu'il y a loin
d'aujourd'hui au service celebre a la memoire de ton pere dans
notre eglise vide!
-- Voici l'ordre de la ceremonie qui a ete adopte par le conseil:
je te conduirai sur le perron a deux heures precises; de la tu
domineras la foule et tout le monde te verra; un ouvrier de chacun
des villages ou sont les usines montera sur le perron et, au nom
de tous, le vieux pere Gathoye t'adressera un petit discours.
A ce moment deux heures sonnerent a la pendule.
"Veux-tu me donner la main?" dit-elle.
Ils arriverent sur le perron, et une immense acclamation retentit;
alors, comme cela avait ete regle, les delegues monterent sur le
perron, et le pere Gathoy
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