il n'y avait donc reellement
que trois victimes, dont l'enterrement venait d'etre fixe au
lendemain.
Quand Talouel fut parti, Perrine, qui depuis le retour a l'usine
etait restee plongee dans une reflexion profonde, se decida a
adresser la parole a M. Vulfran:
"N'irez-vous pas a cet enterrement? demanda-t-elle avec un
fremissement de voix, qui trahissait son emotion.
-- Pourquoi irais-je?
-- Parce que ce serait votre reponse -- la plus digne que vous
puissiez faire -- aux accusations de cette pauvre femme.
-- Mes ouvriers sont-ils venus au service celebre pour mon fils?
-- Ils ne se sont pas associes a votre douleur; vous vous associez
a celles qui les atteignent, c'est une reponse aussi cela, et qui
serait comprise.
-- Tu ne sais pas combien l'ouvrier est ingrat.
-- Ingrat pourquoi? Pour l'argent recu? C'est possible; et cela
vient peut-etre de ce qu'il ne considere pas l'argent recu au meme
point de vue que celui qui le donne; n'a-t-il pas des droits sur
cet argent qu'il a gagne lui-meme? Cette ingratitude-la existe
peut-etre telle que vous dites. Mais l'ingratitude pour une marque
d'interet, pour une aide amicale, croyez-vous qu'elle soit la
meme? C'est l'amitie qui fait naitre l'amitie. On aime ceux dont
on se sent aime; et il me semble que si nous nous faisons l'ami
des autres, nous faisons des autres nos amis. C'est beaucoup de
soulager la misere des malheureux; mais comme c'est plus encore de
soulager leur douleur... en la partageant!"
Elle avait encore bien des choses a dire dans ce sens, lui
semblait-il; mais M. Vulfran ne repondant rien, et ne paraissant
meme pas l'ecouter, elle n'osa pas continuer: plus tard elle
reprendrait ce sujet.
Quand ils passerent devant la veranda de Talouel pour rentrer au
chateau, M. Vulfran s'arreta:
"Prevenez M. le cure, dit-il, que je prends a ma charge les frais
de l'enterrement des enfants; qu'il ordonne un service convenable;
j'y assisterai."
Talouel eut un haut-le-corps.
"Faites afficher, continua M. Vulfran, que tous ceux qui voudront
se rendre demain a l'eglise en auront la liberte: c'est un grand
malheur que cet incendie.
-- Nous n'en sommes pas responsables.
-- Directement, non."
Ce ne fut pas la seule surprise de Perrine; le lendemain matin,
apres le depouillement de la correspondance et la conference avec
les chefs de service, M. Vulfran retint Fabry:
"Vous n'avez rien de presse en train, je pense?
-- Non, monsieur.
-- Eh
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