pas vide, si vous songez a celui
des autres. Quand on est enfant... et pas heureux, on pense
souvent, n'est-ce pas, a tout ce qu'on demanderait a un magicien
tout-puissant, a un enchanteur, si on le rencontrait, et qui n'a
qu'a vouloir pour realiser tous les souhaits; mais quand on est
soi-meme cet enchanteur, est-ce qu'on ne pense pas quelquefois a
ce qu'on peut faire pour rendre heureux ceux qui ne le sont pas,
qu'ils soient enfants ou non; puisqu'on a aux mains le pouvoir,
n'est-ce pas amusant de s'en servir? Je dis amusant parce que nous
sommes dans une feerie, mais dans la realite il y a un autre mot
que celui-la."
La soiree s'ecoula dans ces propos; plusieurs fois M. Vulfran
demanda si le moment n'etait pas venu de partir, mais elle le
retarda tant qu'elle put.
Enfin elle annonca qu'ils pouvaient se mettre en route: la nuit
etait chaude comme elle l'avait prevu, sans vent, sans brouillard,
mais avec des eclairs de chaleur qui frequemment embrasaient le
ciel noir. Quand ils arriverent dans le village, ils le trouverent
endormi, pas une seule lumiere ne brillait aux fenetres closes,
pas de bruit d'aucune sorte, excepte celui de l'eau qui tombait
des barrages de la riviere.
Comme tous les aveugles, M. Vulfran savait se reconnaitre la nuit,
et depuis leur sortie du chateau il avait suivi son chemin comme
avec ses yeux.
"Nous voila devant Francoise, dit-il a un certain moment.
-- C'est justement chez elle que nous allons. Maintenant, si vous
le voulez bien, nous ne parlerons pas: par la main je vous
guiderai. Je vous previens cependant que nous aurons un escalier a
monter, il est facile et droit; au haut de cet escalier j'ouvrirai
une porte et nous entrerons; nous ne resterons la que ce que vous
voudrez rester, une minute ou deux.
-- Que veux-tu que je voie, puisque je ne vois pas?
-- Vous n'avez pas besoin de voir.
-- Alors pourquoi venir?
-- Pour etre venu. J'oubliais de vous dire qu'il importe peu que
nous fassions du bruit en marchant."
Les choses s'arrangerent comme elle avait dit, et en arrivant dans
la cour interieure, un eclair lui montra l'entree de l'escalier.
Ils monterent, et Perrine, ouvrant la porte dont elle avait parle,
attira doucement M. Vulfran et referma la porte.
Alors ils se trouverent enveloppes d'un air chaud, acre,
suffocant.
Une voix empatee dit:
"Qu'est-ce qui est la?"
Une pression de main avertit M. Vulfran de ne pas repondre.
La meme voix continua:
"
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