, qu'il avait
appris a connaitre par une longue pratique, sans s'inquieter de ce
qu'il pouvait penser lui-meme: que pouvait d'ailleurs peser son
opinion dans la balance, ou de l'autre cote, ce qu'il mettait
etait une flatterie au patron, dont il devait toujours et en tout
devancer le sentiment? Or, ce matin-la, cette physionomie n'avait
absolument rien exprime, qu'un vague exasperant. Voulait-il
acheter, voulait-il vendre? A vrai dire il semblait ne pas prendre
souci plus de l'un que de l'autre; absent, envole, perdu dans un
autre monde que celui des affaires.
Apres Talouel, deux conclusions furent encore emises, puis ce fut
au patron de rendre son arret; et comme toujours, meme plus
complet que toujours, s'etablit un respectueux silence, tandis que
les yeux restaient attaches sur lui.
On attendait, et comme il ne disait rien on s'interrogeait du
regard: avait-il donc perdu l'intelligence ou le sentiment de la
realite?
Enfin il leva le bras, et dit:
"Je vous avoue que je ne sais que decider."
Quelle stupefaction! Eh quoi, il en etait la!
Pour la premiere fois depuis qu'on le connaissait, il se montrait
indecis, lui toujours si resolu, si bien maitre de sa volonte.
Et les regards, qui tout a l'heure se cherchaient, evitaient
maintenant de se rencontrer: les uns par compassion; les autres,
particulierement ceux de Talouel et des neveux, de peur de se
trahir.
Il dit encore:
"Nous verrons plus tard."
Alors chacun se retira, sans dire un mot, et en s'en allant, sans
echanger ses reflexions.
Reste seul avec Perrine, assise a la petite table d'ou elle
n'avait pas bouge, il ne parut pas faire attention au depart de
ses employes, et garda son attitude accablee.
Le temps s'ecoula, il ne bougea point. Souvent elle l'avait vu
rester, immobile devant sa fenetre ouverte, plonge dans ses
pensees ou ses reves, et cette attitude s'expliquait de meme que
son inaction et son mutisme, puisqu'il ne pouvait ni lire, ni
ecrire; mais alors elle ne ressemblait en rien a celle de
maintenant, et a le regarder, l'oreille attentive, on pouvait voir
sur sa physionomie mobile, que par les bruits de l'usine il
suivait son travail comme s'il le surveillait de ses yeux, dans
chaque atelier ou chaque cour: le battement des metiers, les
echappements de la vapeur, les ronflements des cannetieres, les
lamentables gemissements de la valseuse, le decrochage et
l'accrochage des wagons, le roulement des wagonets, les coups de
sif
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