je pense a chaque instant sans oser en parler?
-- Dis.
-- Ce que je ne comprends pas, c'est qu'aimant votre fils comme
vous l'aimez, vous ayez pu vous separer de lui.
-- C'est qu'a ton age on ne comprend, on ne sent que ce qui est
affection, sans avoir conscience du devoir: or mon devoir de pere
me faisait une loi d'imposer a mon fils, coupable de fautes qui
pouvaient l'entrainer loin, une punition qui serait une lecon. Il
fallait qu'il eut la preuve que ma volonte etait au-dessus de la
sienne; c'est pourquoi je l'envoyai aux Indes, ou j'avais
l'intention de ne le tenir que peu de temps, et ou je lui donnais
une situation qui menageait sa dignite, puisqu'il etait le
representant de ma maison. Pouvais-je prevoir qu'il s'eprendrait
de cette miserable creature et se laisserait entrainer dans un
mariage fou, absolument fou?
-- Mais le pere Fildes dit que celle qu'il a epousee n'etait point
une miserable creature.
-- Elle en etait une, puisqu'elle a accepte un mariage nul en
France, et des lors je ne pouvais pas la reconnaitre pour ma
fille, pas plus que je ne pouvais rappeler mon fils pres de moi,
tant qu'il ne se serait pas separe d'elle; c'eut ete manquer a mon
devoir de pere, en meme temps qu'abdiquer ma volonte, et un homme
comme moi ne peut pas en arriver la; je veux ce que je dois, et ne
transige pas plus sur la volonte que sur le devoir."
Il dit cela avec une fermete d'accent qui glaca Perrine; puis,
tout de suite il poursuivit:
"Maintenant, tu peux te demander comment, n'ayant pas voulu
recevoir mon fils apres son mariage, je veux presentement le
rappeler pres de moi. C'est que les conditions ne sont plus
aujourd'hui ce qu'elles etaient a cette epoque. Apres treize
annees de ce pretendu mariage, mon fils doit etre aussi las de
cette creature que de la vie miserable qu'elle lui a fait mener
pres d'elle. D'autre part, les conditions pour moi sont changees
aussi: ma sante est loin d'etre restee ce qu'elle etait, je suis
malade, je suis aveugle, et je ne peux recouvrer la vue que par
une operation qu'on ne risquera que si je suis dans un etat de
calme lui assurant des chances serieuses de reussite. Quand mon
fils saura cela, crois-tu qu'il hesitera a quitter cette femme, a
laquelle d'ailleurs j'assurerai la vie la plus large ainsi qu'a sa
fille? Si je l'aime, il m'aime aussi; que de fois a-t-il tourne
ses regards vers Maraucourt! que de regrets n'a-t-il pas eprouves!
Qu'il apprenne la verite, tu le ve
|