Si vous voulez en avoir la certitude regardez la mine des
neveux et de Talouel."
En realite, elle etait curieuse cette mine: preoccupee chez
Theodore autant que chez Casimir, avec quelque chose de contraint;
au contraire epanouie chez Talouel, qui depuis longtemps avait
pris l'habitude de faire exprimer a sa physionomie comme a ses
paroles precisement le contraire de ce qu'il pensait.
Cependant il y avait des gens qui ne voulaient pas croire a ce
retour:
"Le vieux a ete trop dur; le fils n'avait pas merite que, pour
quelques dettes, on l'envoyat aux Indes. Mis en dehors de sa
famille, il s'en est cree une autre la-bas.
-- Et puis etre en Bosnie, en Turquie, quelque part par la, cela,
ne veut pas dire qu'on, est en route pour Maraucourt; est-ce que
la route des Indes en France passe par la Bosnie?"
Cette reflexion etait de Bendit, qui, avec son sang-froid anglais,
jugeait les choses au seul point de vue pratique, sans y meler
aucune consideration sentimentale.
"Comme vous je desire le retour du fils, disait-il, cela donnerait
a la maison une solidite qui lui manque, mais il ne suffit pas que
je desire une chose pour que j'y croie; c'est Francais cela, ce
n'est pas Anglais, et moi, vous savez, _I am an Englishman_."
Justement parce que ces reflexions etaient d'un Anglais, elles
faisaient hausser les epaules: si le patron parlait du retour de
son fils, on pouvait avoir foi en lui; il n'etait pas homme a
s'emballer, le patron.
"En affaires, oui; mais en sentiment, ce n'est pas l'industriel
qui parle, c'est le pere."
A chaque instant M. Vulfran s'entretenait avec Perrine de ses
esperances:
"Ce n'est plus qu'une affaire de temps: la Bosnie, ce n'est pas
l'Inde, une mer dans laquelle on disparait; si nous avons des
nouvelles certaines pour le mois de novembre, elles nous mettront
sur une piste qu'il sera facile de suivre."
Et il avait voulu que Perrine prit dans la bibliotheque les livres
qui parlaient de Bosnie, cherchant en eux, sans y trouver une
explication satisfaisante, ce que son fils etait venu faire dans
ce pays sauvage, au climat rude, ou il n'y a ni commerce, ni
industrie.
"Peut-etre s'y trouvait-il simplement en passant, dit Perrine.
-- Sans doute, et c'est un indice de plus pour prouver son
prochain retour; de plus s'il etait la de passage, il semble
vraisemblablement qu'il n'etait pas accompagne de sa femme et de
sa fille, car la Bosnie n'est pas un pays pour les touristes; donc
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