comment mangeait une petite bete de son espece, elle se
sentait intimidee, et cet examen n'etait pas sans la gener un peu
dans ses mouvements.
Cependant elle eut la chance de ne pas commettre de maladresse.
"Depuis ma maladie, dit M. Vulfran, j'ai l'habitude de manger deux
soupes, ce qui est plus commode pour moi, mais tu n'es pas tenue,
toi, qui vois clair, d'en faire autant.
-- J'ai ete si longtemps privee de soupe, que j'en mangerais bien
deux fois aussi."
Mais ce ne fut pas une assiette du meme potage qu'on leur servit,
ce fut une nouvelle soupe, aux choux celle-la, avec des carottes
et des pommes de terre, aussi simple que celle d'un paysan.
Au reste, le diner garda en tout, excepte pour le dessert, cette
simplicite, se composant d'un gigot avec des petits pois et d'une
salade; mais pour le dessert il comprenait quatre assiettes a pied
avec des gateaux et quatre compotiers charges de fruits
admirables, dignes, par leur grosseur et leur beaute, des fleurs
du surtout.
"Demain tu iras, si tu le veux, visiter les serres qui ont produit
ces fruits", dit M. Vulfran.
Elle avait commence par se servir discretement quelques cerises,
mais M. Vulfran voulut qu'elle prit aussi des abricots, des peches
et du raisin,
"A ton age, j'aurais mange tous les fruits qui sont sur la
table... si on me les avait offerts."
Alors Bastien, bien dispose par cette parole, voulut mettre sur
l'assiette "de cette petite bete", comme il l'eut fait pour un
singe savant, un abricot et une peche qu'il choisit avec la
competence d'un connaisseur, quittant pour cela la place qu'il
occupait derriere la chaise de M. Vulfran.
Malgre les fruits, Perrine fut bien aise de voir le diner prendre
fin; plus l'epreuve serait courte, mieux cela vaudrait: le
lendemain, la curiosite satisfaite des domestiques, la laisserait
tranquille sans doute.
"Maintenant tu es libre jusqu'a demain matin, dit M. Vulfran en se
levant de table, tu peux te promener dans le jardin au clair de la
lune, lire dans la bibliotheque, ou emporter un livre dans ta
chambre."
Elle etait embarrassee, se demandant si elle ne devait pas
proposer a M. Vulfran de se tenir a sa disposition. Comme elle
restait hesitante, elle vit Bastien lui faire des signes
silencieux que tout d'abord elle ne comprit pas: de la main gauche
il paraissait tenir un livre qu'il feuilletait de la droite, puis,
s'interrompant, il montrait M. Vulfran en remuant les levres avec
une physionomi
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