le etait en passe de reussir plus
qu'un peu; qu'elle fut patiente, qu'elle sut attendre, et le reste
viendrait a son heure. Qui la pressait maintenant? Ni la misere,
ni le besoin dans ce chateau ou elle etait entree si vite.
Quand le sifflet des usines annonca la sortie, elle etait encore a
son balcon planant dans sa reverie, et ce furent ses coups
stridents qui la ramenerent de l'avenir dans la realite presente.
Alors du haut de l'observatoire d'ou elle dominait les rues du
village et les routes blanches a travers les prairies vertes et
les champs jaunes, elle vit se repandre la fourmiliere noire des
ouvriers, qui grouillant d'abord en un gros amas compact, ne tarda
pas a se diviser en plusieurs courants, a se morceler a l'infini,
et a ne former bientot plus que des petits groupes qui eux-memes
s'evanouirent promptement; la cloche du concierge sonna et la
voiture de M. Vulfran monta l'allee circulaire au pas tranquille
du vieux Coco.
Cependant elle ne quitta pas encore sa chambre, mais comme il le
lui avait recommande, elle fit sa toilette, en se livrant a une
veritable debauche d'eau de Cologne aussi bien que de savon, --
d'un bon savon onctueux, mousseux, tout parfume de fines odeurs, -
- et ce fut seulement quand la pendule placee sur sa cheminee
sonna huit heures qu'elle descendit.
Elle se demandait comment elle trouverait la salle a manger, mais
elle n'eut pas a la chercher, un domestique en habit noir, qui se
tenait dans le hall, la conduisit. Presque aussitot M. Vulfran
entra; personne ne le conduisait; elle remarqua qu'il suivait un
chemin en coutil pose sur le tapis, ce qui permettait a ses pieds
de le guider et de remplacer ses yeux: une corbeille d'orchidees,
au parfum suave, occupait le milieu de la table, couverte d'une
lourde argenterie ciselee et de cristaux tailles dont les facettes
refletaient les eclairs de la lumiere electrique qui tombait du
lustre.
Un moment elle se tint debout derriere sa chaise, ne sachant trop
ce qu'elle devait faire; heureusement M. Vulfran lui vint en aide:
"Assieds-toi."
Aussitot le service commenca, et le domestique qui l'avait amenee
posa une assiette de potage devant elle, tandis que Bastien en
apportait une autre a son maitre, celle-la pleine jusqu'au bord.
Elle eut dine seule avec M. Vulfran qu'elle se fut trouvee a son
aise; mais sous les regards curieux, quoique dignes, des deux
valets de chambre qu'elle sentait ramasses sur elle, pour voir
sans doute
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