eut remarque, avec cette surete
d'observation qui le caracterisait, le desordre de la chambre et
celui, non moins grand, du visage de Madame, il prit un air
enjoue.
-- Ma soeur, dit-il, a quelle heure vous plait-il que nous
repetions le ballet aujourd'hui?
Madame, secouant lentement et languissamment sa tete charmante:
-- Ah! Sire, dit-elle, veuillez m'excuser pour cette repetition;
j'allais faire prevenir Votre Majeste que je ne saurais
aujourd'hui.
-- Comment! dit le roi avec une surprise moderee; ma soeur,
seriez-vous indisposee?
-- Oui, Sire.
-- Je vais faire appeler vos medecins, alors.
-- Non, car les medecins ne peuvent rien a mon mal.
-- Vous m'effrayez!
-- Sire, je veux demander a Votre Majeste la permission de m'en
retourner en Angleterre.
Le roi fit un mouvement.
-- En Angleterre! Dites-vous bien ce que vous voulez dire, madame?
-- Je le dis a contrecoeur, Sire, repliqua la petite-fille de
Henri IV avec resolution.
Et elle fit etinceler ses beaux yeux noirs.
-- Oui, je regrette de faire a Votre Majeste des confidences de ce
genre; mais je me trouve trop malheureuse a la cour de Votre
Majeste; je veux retourner dans ma famille.
-- Madame! Madame!
Et le roi s'approcha.
-- Ecoutez, Sire, continua la jeune femme en prenant peu a peu sur
son interlocuteur l'ascendant que lui donnaient sa beaute, sa
nerveuse nature; je suis accoutumee a souffrir. Jeune encore, j'ai
ete humiliee, j'ai ete dedaignee. Oh! ne me dementez pas, Sire,
dit-elle avec un sourire.
Le roi rougit.
-- Alors, dis-je, j'ai pu croire que Dieu m'avait fait naitre pour
cela, moi, fille d'un roi puissant; mais, puisqu'il avait frappe
la vie dans mon pere, il pouvait bien frapper en moi l'orgueil.
J'ai bien souffert, j'ai bien fait souffrir ma mere; mais j'ai
jure que, si jamais Dieu me rendait une position independante,
fut-ce celle de l'ouvriere du peuple qui gagne son pain avec son
travail, je ne souffrirais plus la moindre humiliation. Ce jour
est arrive; j'ai recouvre la fortune due a mon rang, a ma
naissance; j'ai remonte jusqu'aux degres du trone; j'ai cru que,
m'alliant a un prince francais, je trouverais en lui un parent, un
ami, un egal; mais je m'apercois que je n'ai trouve qu'un maitre,
et je me revolte, Sire. Ma mere n'en saura rien, vous que je
respecte et que... j'aime...
Le roi tressaillit; nulle voix n'avait ainsi chatouille son
oreille.
-- Vous, dis-je, Sire, qui savez tout, puisqu
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