e me separe jamais ni de lui ni de
toi.
LX.
DE JACQUES A SYLVIA.
De la ferme de Blosse.
Tu me demandais hier pourquoi je viens si souvent a Blosse, et tu me
reprochais de chercher la solitude depuis quelque temps. Il est vrai que
jamais je n'ai senti si vivement le besoin d'etre seul et de reflechir.
Ce lieu desert et plein d'aspects sauvages me plait et me fait du bien.
Je sens comme une main inexorable, mais paternelle encore dans sa
rigueur, qui m'attire au fond de ces bois silencieux pour m'y enseigner
la resignation. Je viens m'asseoir au pied de ces chenes seculaires que
ronge la mousse, et j'y resume ma vie. Cela me calme.
Est-ce que tu ne sais pas ce que j'ai? Est-ce que tu ne t'es pas apercue
qu'Octave aime ma femme? Cet amour a ete romanesque et innocent pendant
bien longtemps; mais il prend de la violence, et si Fernande ne le voit
pas encore, elle ne peut tarder a le voir. Nous avons ete imprudents;
les laisser ainsi ensemble! ils sont si jeunes! Mais que pouvions-nous
faire? Tu ne pouvais pas feindre de revendiquer un amour que tu avais
repousse. Ta fierte se refusait a tout ce qui aurait eu l'apparence
d'une ignoble jalousie et d'une vanite blessee. Pour moi, c'etait bien
pis; j'avais d'abord accuse injustement ces pauvres jeunes fous; je
sentais que j'avais beaucoup a reparer envers eux, et la crainte de me
tromper encore me forcait a fermer les yeux. Je t'avoue que, malgre
l'evidence, j'hesite encore a croire qu'Octave soit amoureux d'elle. Il
semblait si sur de lui dans les commencements, et toute l'annee derniere
il a ete si heureux aupres de nous! Mais depuis l'hiver il a ete de
plus en plus agite et distrait; a present il est reellement malade de
chagrin. C'est un honnete homme, il est devenu froid et sec avec moi.
Il ne sait pas me dissimuler la gene et le trouble que je lui cause;
pourtant il m'aime sincerement. Hier soir, quand je suis monte a cheval,
il est venu avec moi, et il m'a parle d'un voyage qu'il compte faire
bientot a Geneve. J'ai compris qu'il voulait s'eloigner de Fernande;
j'ai presse sa main sans rien dire, et il s'est jete dans mes bras en
s'ecriant: "Ah! mon brave Jacques!..." puis il s'est arrete brusquement
et m'a parle de mon cheval. Pauvre Octave! il est malheureux, et c'est
par notre faute; nous l'avons trop abandonne aux perils de la jeunesse.
Mais ou ne les aurait-il pas rencontres? et ou les eut-il combattus avec
autant de vertu?
Il partira, j'en suis s
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