x maintenue; on la parle encore dans les bourgs
et les villages; c'est en breton que se fait le prone le dimanche, en
breton l'allocution du recteur aux maries. Deja aussi, pourtant, la vieille
langue se perd: le bourgeois des villes ne la comprend plus; le paysan
parle le breton et entend le francais; ses rapports journaliers avec
l'etranger lui ont appris la valeur de ce nouvel idiome. Chaque jour, s'en
va un de ces vieux Bretons qui ne parlaient que la vieille langue, et il
n'est pas remplace. Il ne se reverra plus, ce temps ou deux troupes de
Bretons ennemis, de la Grande et de la Petite-Bretagne, s'arretaient tout a
coup sur le champ de bataille, entendant resonner des deux cotes les mots
de la meme langue, et se reconnaissaient et s'embrassaient; freres de la
meme race, issus de la meme terre[1]. Dans les cimetieres qui ceignent
toutes les eglises de campagne, on ne voit plus que rarement sur les tombes
nouvelles une inscription en langue bretonne; elle disparait aussi, cette
coutume nationale qui distinguait le paysan breton jusque dans la mort, qui
l'isolait des etrangers indifferents et reservait pour ses enfants seuls la
connaissance de sa vie et de son nom. Bientot cet apre et poetique langage
sera devenu le domaine des savants et l'occupation des academies, et, deja,
comme cedant a un fatal pressentiment, un pieux et noble fils de
l'Armorique s'est empresse de recueillir les poesies de ses bardes[2],
chants melancoliques de prochaines funerailles, voix des ancetres qui ne
sera plus comprise de leur posterite muette.
[Note 1: C'est ce que l'on vit au XVIIIe siecle, dans un combat ou
se rencontrerent face a face des Bretons armoricains et des Bretons
du pays de Galles.]
[Note 2: _Chants bretons_, publies par M. H. de la Villemarque.]
Ainsi se modifient ou s'effacent les traits exterieurs de ce vieux peuple,
et le chemin de fer qui s'avance, pret a lancer ses wagons comme une fleche
au coeur de l'Armorique, consommera le changement: il ne faut pas s'en
etonner; les costumes, les villes, la langue, les institutions, formes
variables, peuvent etre ou ne pas etre; mais ce qui n'a pas change en
Bretagne, c'est ce qu'il y a de plus intime dans un peuple, la religion, et
la religion est l'essence du genie breton. Les sauvages comme les Turcs,
dit Chateaubriand, n'etaient attentifs qu'a mes armes et a ma religion; les
armes, qui protegent le corps de l'homme, la religion qui est son ame meme.
C'est
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