ui mettait a
l'aise sans humilier. Elle preferait lire a deux, car "il y a une grande
difference entre lire seule ou avec des gens qui relevent les beaux
endroits et qui reveillent l'attention." Et ces livres (elle fait observer
qu'elle garde pour le soir tout ce qu'elle a de plus gros), ce sont des
histoires, Amyot, Josephe, Davila, Guichardin, des traites de philosophie,
Pascal, Descartes, Mallebranche, ou les Peres, les _Homelies_ de saint
Chrysostome, saint Hilaire, saint Prosper, Abbadie, les _Variations_. Elle
a sous la main les moralistes, les poetes, les ascetes, qu'elle a apportes
de Paris, et ranges dans son cabinet; peu de romans; et si elle "se laisse
prendre a la glu de la Calprenede et de sa Cleopatre," ce n'est qu'un
moment, un souvenir de jeunesse, et elle s'en excuse comme d'une faiblesse.
Telles etaient les etudes habituelles aux femmes de la plus haute societe
de ce temps, des etudes serieuses, solides, presque viriles; la plupart, et
madame de Sevigne la premiere, savaient et parlaient plusieurs langues,
l'italien, l'espagnol, quelques-unes le latin. Et ces etudes, elles les
continuaient non-seulement jusqu'a l'age ou elles se mariaient, mais toute
leur vie, non pour s'en prevaloir, mais pour etre capables de converser
avec les hommes, de connaitre les choses les plus utiles au vrai but de la
vie, pour s'ameliorer et se perfectionner. De la cette surete de jugement,
cette justesse de gout, cette langue exacte, pleine, nourrie, qui
s'unissaient a la grace, a la legerete, a la delicatesse propres a la
femme, et rendaient leur conversation si aimable et leur commerce si
attachant. Parfois, une marquise de La Fayette, une madame de Sevigne,
ecrivait un petit livre de recits, de portraits faits d'apres les modeles
qui avaient passe autour d'elle, ou des lettres, memoires improvises, qui
mettaient en scene le roi, et la cour, et la ville, et toute cette societe,
la plus brillante de notre histoire; et, dans ce petit livre qu'on avouait
a peine, dans ces lettres ecrites sans effort, au vol de la plume, les
juges les plus difficiles reconnaissaient, et la posterite admire en
s'etonnant la fine observation et la peinture fidele des hommes, des
moeurs, des caracteres, et la pensee, l'eloquence, le style precis, la
force comique, mieux encore le veritable esprit et le charme, les plus
rares qualites des grands ecrivains.
Madame de Sevigne n'a pas decrit son chateau; si elle jette ca et la
quelques mots sur so
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