nt, en face de plusieurs canons charges a mitraille.
La masse du peuple avait franchi le fleuve; il ne restait plus au dela que
quelques milliers d'hommes; la question alors s'eleva: que faire des
prisonniers, bouches inutiles et ennemies? On ne pouvait les garder; il y
avait peril a les relacher. Une proposition alors est jetee dans la foule,
une de ces propositions violentes qui se font jour dans les temps de crise,
qui n'appartiennent a personne, et que tout le monde accepte: Il faut s'en
defaire! il faut les fusiller! Le mot vole et bientot devient un cri
general, la volonte du peuple.
Dans la chambre meme ou Bonchamp agonisait, les officiers s'en
entretenaient; il ne s'agissait plus que de designer l'heure. Bonchamp
alors, les entendant, se souleva de son lit avec effort; il fit signe a
quelques-uns des chefs de s'approcher, et, d'une voix qu'entrecoupait la
souffrance: "Mes amis, j'ai une priere a vous adresser; c'est sans doute la
derniere, mais, avant que je meure, assurez-moi qu'elle sera ecoutee: je
demande qu'on ne tue pas les prisonniers."
C'est a ce beau moment que le sculpteur David l'a represente[1]: le voici,
ce genereux homme, tel qu'il dut etre, se dressant a demi, le corps ouvert
par la blessure, la figure tiree par la douleur, la main tremblante, le
regard comme eclaire, deja presque hors du monde, et cherchant a se derober
un instant encore a la mort, pour donner a d'autres cette vie qui, par sa
bouche entr'ouverte, va s'echapper!
[Note 1: Le monument de Bonchamp est dans le choeur de l'eglise de
Saint-Florent.]
Et aussitot, sans hesiter, sans reflechir, emportes par cet irresistible
choc des grandes pensees qui toujours entrainent les hommes, preuve sublime
qu'ils ont une ame: Oui, oui, s'ecrient les assistants, grace! grace! Et
ils s'elancent au dehors, tous veulent l'annoncer aux prisonniers. La
Rochejaquelein, le premier, monte en courant la rue raboteuse, arrive a la
porte du couvent, et, l'ouvrant toute grande: Laissez-les aller,
s'ecrie-t-il, grace! Bonchamp le veut, Bonchamp l'ordonne!
Les canons sont detournes, et les prisonniers, passant a travers la foule
qui s'ecarte, se dispersent dans la campagne, par toutes les routes,
jusqu'a perte de vue du bourg; en quelques instants tous avaient disparu;
il n'en resta pas un a Saint-Florent.
Et il n'est pas vrai, ainsi que quelques-uns l'ont raconte, que ces
prisonniers, a peine sauves, aient tire presque aussitot sur leurs
l
|