tes sans nombre,
cette armee, continuant sa marche, est encore pour les cotes plus eloignees
une mine feconde, les marins du golfe de Gascogne puisent encore a pleins
filets dans ses rangs inepuisables; et chaque ete, en un ordre immuable,
sans qu'aucune revolution vienne a l'encontre, recommence le meme mouvement
par le meme chemin, et des millions de petits poissons descendent en
colonnes serrees le long des cotes, pour servir de nourriture a l'homme
indifferent devant ce spectacle incessant de la providence de Dieu!
Le matin, toutes ces barques legeres dressent leurs petits mats, et,
tendant leurs voiles au vent, elles partent ensemble, sous le clair soleil,
comme une volee d'oiseaux. Pendant la premiere heure, la baie est toute
couverte de points blancs, paquerettes semees sur la mer bleue. Puis la
svelte escadrille s'avance de plus en plus vers la haute mer, et le dernier
petit point blanc disparait. En l'absence des pecheurs, la ville
silencieuse semble deserte: la peche sera-t-elle bonne? un orage ne se
levera-t-il pas? Mais le soleil s'abaisse, et les voiles reparaissent au
loin, fendant l'onde plus lentement sous leur charge lourde: la ville alors
se reveille, les portes des maisons s'ouvrent et les rues se remplissent,
le mouvement est general; les femmes, avec leurs paniers, se hatent,
descendant au port, et des que la flotille, s'alignant en rangs presses,
touche le rivage, elles s'elancent et envahissent les bateaux, comme si
elles les prenaient a l'abordage: un va-et-vient rapide s'etablit aussitot
des barques au rivage, on entasse le poisson dans les paniers, on s'appelle
et on crie, les prix se debattent, c'est le marche. Bientot les lanternes
et les flambeaux s'allument, chaque barque en est eclairee; en un clin
d'oeil une illumination s'improvise, des milliers d'etincelles s'agitent
sur les vagues mouvantes, et l'on voit les jeunes filles aux jupes
retroussees, le panier sur la tete, courir d'un pied agile sur la planche
etroite et frele, comme des ombres.
Au dela de Douarnenez, et en tendant vers l'ouest, la terre, resserree
entre deux baies, s'allonge comme un grand fer de lance vers l'Ocean:
c'est, avec la cote de Penmark, le point le plus inculte de la Bretagne, le
_bec du Raz_: a mesure que l'on avance, les collines diminuent de hauteur,
le sol s'abaisse, et tout, avec le sol, semble s'affaisser. Les maisons, a
peine hautes d'un etage, sont comme accroupies, les arbres, battus des
vents de la me
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