t, comme en face de son tombeau,
que l'on dise: Quelle modestie! Oui, la modestie de ce philosophe au
manteau de mendiant dont les trous laissaient voir son orgueil, cette
humilite s'etale si publiquement qu'elle produit le meme effet que la plus
dedaigneuse fierte: on en est blesse, on la dedaigne aussi et l'on n'en
tient compte.
Il est des ecrivains qui gagnent a etre frequentes; telle est madame de
Sevigne. L'homme n'aime rien tant que de trouver l'homme dans un auteur;
c'est ce qui fait le charme des anciens, de Plutarque en particulier, et
madame de Sevigne, en ecrivant, est restee femme. M. de Chateaubriand, au
contraire, tend sans cesse a ne pas paraitre homme, il pose comme un etre
en dehors, au-dessus de l'humanite; il ne songe qu'a se faire admirer; il
n'a ni naturel ni naivete, on sent partout l'effort, dans son style comme
dans sa vie: aussi n'inspire-t-il pas de sympathie; on consent parfois a
l'admirer, on ne parvient pas a l'aimer; et l'on ne va pas volontiers
chercher un maitre qui vous parle toujours de haut. Madame de Sevigne se
fait tout d'abord aimer, ce n'est qu'en second lieu qu'on l'admire, et,
plus on la connait, plus on desire la visiter.
VI
Saint-Ilan.
=Colonie agricole.--un poete et un soldat bretons.=
Lorsque l'on suit la cote apre et haute de la baie de Saint-Brieuc, a une
lieue environ de la ville on apercoit une fleche neuve et elegamment
decoupee qui domine la campagne: c'est la chapelle de Saint-Ilan, et cette
chapelle indique aussitot quelle pensee a inspire cette colonie
d'agriculteurs et d'orphelins, asile de charite ouvert au repentir, a la
renaissance morale et au devoument.
Bientot apparaissent les toits d'ardoises de la ferme, les etables, les
ateliers, les batiments d'exploitation groupes sur une pente douce qui
descend a la mer. Tout alentour, les champs sont mieux cultives, les arbres
plus vigoureux, les prairies plus vertes et plus fraiches: on sent partout
une sollicitude intelligente et toujours presente. Dans les sentiers
sinueux passent, conduisant de beaux attelages, des hommes, de jeunes
garcons, vetus de la blouse uniforme du travail: a leur air, a leur tenue
reguliere, on reconnait que ce ne sont pas des paysans ordinaires; en les
disciplinant la regle les a ennoblis. Les enfants ont une allure heureuse,
le visage gai, un regard ouvert qui semble interroger et vouloir saisir la
reponse; les hommes, une demarche grave, une physionomie sereine et
ser
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