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Le paysage qui encadre ces scenes familieres ou heroiques, a une grandeur
solennelle: c'est la mer, la mer immense, _barrant et nivelant l'horizon
sous sa ligne sombre_, comme dit le poete[1]; a de certaines heures, apres
qu'elle s'est retiree a une longue distance, en laissant nue sa greve de
sable fin ou se dessinent mille meandres, elle revient precipitee,
grandissant a chaque pas, envahissant en peu d'instants le vaste espace
lentement delaisse. Alors le pere: Allons, a cheval! a cheval!
[Note 1: Amedee Pommier.]
Ma grande fille, heureuse avec tes dix-huit ans!
en avant dans la mer! Vis-a-vis de ces flots qui s'avancent d'un
irresistible mouvement, l'homme a comme un desir sauvage de lutter avec
eux; un fier instinct le pousse, il semble qu'il veuille faire sentir aux
elements sa superiorite et sa force souveraine. Et, le front battu par la
brise, aspirant l'haleine amere, tous deux vont au-devant de la masse d'eau
vivante et profonde, et un cri de male volupte s'echappe de leurs levres:
Ta joie, o jeune fille, est l'azur du ciel meme!
La vague ou nos chevaux entrent jusqu'au poitrail,
Fait naitre sur ta joue un reflet de corail,
Quand tu t'emeus de ce bapteme[1].
[Note 1: A. du Clesieux, _Promenade_.]
Ainsi se passe la vie du poete, face a face avec la nature, vie de la
famille et du travail qui garde comme un souvenir des scenes de la Bible et
d'Homere, ou mieux encore de l'existence independante des nobles Bretons
des premiers siecles, bardes, agriculteurs et guerriers. C'est la vraie vie
de l'homme, simple et fortifiante, et qu'un autre poete, il y a longtemps
deja, idealisa en ces beaux vers:
. . . . Sur un rocher, devant l'eternite,
Devant son grand miroir et son fidele embleme,
Devant votre Ocean, pres des greves qu'il aime,
Vous etes reste seul a veiller, a guerir,
A prier pour renaitre, a finir de mourir,
A jeter le passe, vain naufrage, a l'ecume,
A noyer dans les flots vos depots d'amertume;
Repuisant la jeunesse au vrai soleil d'amour;
Patriarche d'ailleurs pour tous ceux d'alentour,
Donnant, les instruisant, et dans vos jours de joie
Chantant sur une lyre![1] . . . . . .
[Note 1: Sainte-Beuve, _Pensees d'aout, a Ach. du Clesieux_.]
Parfois, apres plusieurs annees d'absence, le poete vient a Paris; il passe
quelques soirs dans ce monde des salons agite par tant de passions
diverses, qui espere si vite, qui desespere plus vite encore. L
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