e vient personne, et dont "rien n'egale le silence, la tranquillite et
la solitude."
Vous figurez-vous cette grande dame habituee a la conversation des plus
beaux esprits de Paris et de Versailles, que le gouverneur de Bretagne et
la princesse de Tarente, et tout ce qu'il y avait de distingue aux Etats de
Bretagne, venaient chercher, emmener malgre elle, et dont il semblait qu'on
ne pouvait se passer, la voyez-vous absorbee et ravie par la tristesse de
ces bois solitaires? afin de la mieux savourer "marchant a l'aventure,"
pretant l'oreille au chant de mille oiseaux, au murmure des feuilles, "ah!
la jolie chose qu'une feuille qui chante!" et s'arretant au bout d'une
allee "ou le couchant fait des merveilles!"
Ce n'etait pas une mode alors d'affecter pour la nature une admiration qui
degenere en une adoration impie; on n'en parlait pas pour faire des
phrases; mais, ainsi que ces grands hommes dont le genie se fortifie par
les contrastes, ainsi que Moliere, si plaisant au theatre, si morne dans le
monde, cette femme eblouissante de gaite sentait naivement la poesie du
spectacle de la terre, sentiment fatal aux coeurs faibles, aux caracteres
faux, mais qui eleve les ames droites et sainement trempees.
Elle restait tard en ces bois: "Je n'en reviens pas que la nuit ne soit
bien declaree, que le feu et les flambeaux ne rendent ma chambre d'un bon
air." Cette chambre est une piece au rez-de-chaussee, longue, a panneaux de
boiserie comme le salon, et eclairee par une seule fenetre: au fond, le
lit; le long des murs, des fauteuils de soie cramoisie; pres de la fenetre,
le secretaire ouvert, et l'ecritoire de laque et le registre ou elle
recueillait les meilleures pensees des auteurs; puis, dans un angle, le
cabinet avec l'etroite psyche drapee, et les boites et les petits
ustensiles de toilette, et le petit fauteuil rond et bas ou elle s'asseyait
pour se faire poudrer: tout cela y est encore. Voila le lieu choisi, separe
des grands appartements ou elle se retire le soir, "une bonne chambre avec
un grand feu."
Ce n'est plus le temps de la reverie vagabonde, c'est l'heure de la
meditation et des fortes lectures: elle les fait le plus souvent en
compagnie de son fils ou de l'abbe, ou de quelqu'un de ces familiers que
l'on avait au XVIIe siecle, intermediaires entre le serviteur et le maitre,
dont on disait _un tel, gentilhomme appartenant a M. le Prince_, et que
l'on traitait, a qui l'on parlait avec une simplicite aimable q
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