les Sevigne, les Coulanges, les Chantal, noble et grave compagnie parmi
laquelle elle vivait, et avec qui, lorsqu'elle levait les yeux de son
papier, elle echangeait des pensees et continuait la causerie etincelante,
gracieuse et attachante de ces lettres que l'on se passait de main en main
et dont on s'arrachait des copies.
Du salon on entre de plain pied dans le jardin, un vaste jardin carre, a
grandes allees droites, "tout a fait sur le dessin de Lenotre" avec des
arbres artistement tailles et une double ligne d'orangers vieux deja de son
temps, un vrai jardin francais, avec une terrasse a l'une des extremites.
Les Rochers sont situes sur un plateau et la terrasse en est le point le
plus eleve: de la, on embrasse toute la campagne d'alentour, arrondie comme
un vaste cirque, basse au premier plan, puis montant en pente douce jusqu'a
l'horizon. Cette campagne a un aspect monotone: ce ne sont que bois et
landes; a peine une ou deux maisons et un clocher au milieu des arbres:
tout fait silence, on est au bout du monde, dans un desert. Et, en se
retournant, on a devant soi le jardin ferme par les arbres du parc comme
par un rideau, le jardin plat et sans voix dont la solitude prolonge la
tristesse du paysage: bientot, le calme universel qui plane autour de vous
envahit et domine l'ame, on n'a plus envie de parler, et l'on ralentit le
pas.
Dans le parc, meme solitude: le mail a ete abattu, mais ils existent
toujours ces vieux arbres qu'elle-meme avait plantes, qu'elle avait vus
"pas plus hauts que cela," et qui avaient forme ces belles avenues
couvertes dont elle disait: "C'est passer une galerie que d'aller au bout."
C'est la qu'elle se sauve des le matin, emportant avec elle un "petit
livre, un livre de devotion et un livre d'histoire," Tacite, la _Vie de
saint Thomas de Cantorbery_, le Tasse, les _Iconoclastes_, et surtout et le
plus souvent Nicole, Nicole qui est "de la meme etoffe que Pascal," qu'elle
ne se lasse pas de louer, de recommander a sa fille et a ses amis, et dont
elle voudrait, tant elle s'en trouve l'esprit nourri, "faire un bouillon
pour l'avaler." La, elle passe des jours "toute seule, tete a tete, revant
un peu a Dieu, a sa providence, possedant son ame," allant du livre de
devotion au livre d'histoire, "cela fait du divertissement," de temps en
temps interrompant sa lecture pour admirer "ces beaux arbres devenus grands
et droits," ces longues allees "ou l'on est mieux que dans une chambre," ou
il n
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