our a plusieurs pans, le chateau. Les gravures en donnent une
assez exacte idee; c'est plus qu'une maison, et ce n'est pas tout a fait un
chateau. A peine depuis deux siecles y a-t-on touche. A l'exception de la
teinte grise dont le temps a recouvert la pierre, tel il devait etre au
temps de madame de Sevigne.
Rien de plus simple, et, pourtant, combien cette modeste demeure emeut plus
que ces grands chateaux que l'on rencontre partout et qui s'etalent
somptueusement dans leur architecture neuve! C'est qu'ici, il y a une ame
qui vivifie tout, et qui donne un sens a ce que l'on voit. On n'est point
ici etranger et isole, on marche accompagne d'une personne que l'on ne voit
pas et qui cependant est presente, cette charmante femme, si vive et si
gaie que tous ceux avec qui elle avait commerce en etaient animes et
rejouis, une de ces femmes autour desquelles on se groupe, qui, en quelque
lieu qu'elles aillent, et des le premier moment, deviennent le centre d'un
monde et exercent, sans y songer et naturellement, le prestige d'une douce
et legitime royaute.
Aussitot, et par un soudain mouvement de l'esprit, ses lettres, ses recits
reviennent en notre pensee. C'est dans cette cour qu'un dimanche, a
l'instant ou elle finissait d'ecrire a sa fille quelques-unes de ces lignes
d'une tendresse qui ressemble a la passion, en regardant par la fenetre,
elle vit arriver un grand et nombreux train de seigneurs, "quatre carrosses
a six chevaux, avec cinquante gardes a cheval, plusieurs chevaux de main,
et plusieurs pages a cheval. C'etaient M. de Chaulnes, M. de Rohan, M. de
Lavardin, MM. de Coetlogon, de Lokmaria, les barons de Guais, les eveques
de Rennes, de Saint-Malo..." On suit cette brillante societe dans le salon.
Ce salon, a peu de details pres, est le meme qu'en 1672; au
rez-de-chaussee, eclaire a la fois par la cour et par le jardin, tout en
boiserie, selon le style du temps, ce qui avait autrement de grandeur que
nos papiers peints moires et lustres; une vaste cheminee, large, profonde,
avec de beaux chenets de bronze qui, ainsi que tout ce qui se faisait dans
ce temps, semblent faits pour durer des siecles; sur la cheminee une de ces
hautes pendules incrustees d'ecaille et de cuivre, comme on en voit dans
les palais de Louis XIV; puis, suspendus aux panneaux, dans de vieux cadres
sculptes, les portraits brunis de toute cette famille de guerriers, de
magistrats, de fins et spirituels courtisans, de saintes meme, les Rabutin,
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