e. Les premiers siecles
l'avaient preparee, elle s'etait degagee des langes de l'antiquite, sa
langue etait faite, ses idees religieuses arretees; la republique
chretienne est logiquement constituee, elle a son unite. Ce peuple, alors,
est dans la complete possession de sa force; il ne lutte pas pour creer; il
n'est pas tire en sens divers par plusieurs penchants contraires; il n'est
pas emporte par ce souffle capricieux et deregle que l'on ne dirige pas,
mais qui vous pousse, qui nait du desordre des idees et que notre temps a
justement appele d'un nom nouveau, la _fantaisie_. Les ages precedents ont
cherche, amasse, rapproche; tous les materiaux sont prets sous sa main; il
n'a plus qu'a les prendre: c'est le genie meme de l'epoque qui, libre et
aise, produit et se joue en mille formes, et, comme un vase rempli, n'a
qu'a s'epancher pour faire deborder ses tresors. Alors l'imagination
partout eclate, vive et coloree; un meme esprit, dans les monuments d'art
comme dans la litterature, cree les ornements varies des eglises, invente
les fabliaux et les contes, trouve a chaque instant des images nouvelles
pour representer les opinions, les idees et les moeurs; et cette
imagination, loin de se fatiguer, feconde; car ce n'est pas une production
factice de serre chaude, c'est la floraison naturelle d'un arbre en son
printemps, toute une suite de siecles qui se couronnent dans le dernier. Et
voila pourquoi les artistes, auteurs de toutes ces oeuvres, sont inconnus.
Ces oeuvres ne sont pas d'eux, elles sont du peuple entier; ce n'est pas
leur pensee qu'ils ont rendue, mais la pensee de tous, de leurs peres et de
leurs ancetres, avec laquelle ils sont nes, ils ont ete eleves et ont vecu,
qui a penetre tout leur etre, et est devenue comme une partie meme de leur
ame. Ainsi, ils ont senti, compris, exprime sans effort, et ces monuments
de l'art sont, non la marque de leur talent et de leur passage sur terre,
mais le temoignage de leur piete et de leur foi, de la piete et de la foi
de tout un peuple.
La meme foi des anciens jours persiste encore dans la Bretagne: si l'on en
doutait, que signifient ces signes multiplies d'une piete qui ne
s'affaiblit pas, ces echarpes de cachemire, dons des femmes de
l'aristocratie, qui couvrent les autels de la cathedrale de Treguier, et
ces offrandes du pauvre, ces faisceaux de bequilles appendues au Folgoat
par les infirmes gueris? et ces pelerinages de milliers d'hommes qui,
chaque annee, viennen
|