ent en grand
nombre; ils allaient revoir leur pays, leurs familles, combattre, mourir du
moins sur le sol ou ils etaient nes. On composa cinq regiments, dont
plusieurs portaient de beaux noms: _Rohan, Damas, Loyal-Emigrant_;
l'artillerie avait pour chef un militaire savant et eprouve, le comte de
Rotalier. L'enthousiasme etait haut comme les esperances; beaucoup
d'officiers convertirent leur fortune en or, et l'emporterent avec eux,
nobles joueurs qui risquaient tout sur un dernier coup de des; enfin,
spectacle heroique et touchant, on voyait marcher en ligne une compagnie de
vieux officiers, tous chevaliers de Saint-Louis[1], qui portaient le
mousquet et recevaient la paye comme de simples soldats; ils etaient cent
vingt, tous ages de plus de soixante ans, et leur chef en avait
soixante-douze. On a vante l'enthousiasme des republicains; celui qui
animait ces vieillards etait aussi grand et plus admirable; car
l'enthousiasme et le desinteressement sont naturels a la jeunesse; mais
eux, dans la vieillesse et apres les epreuves de la vie, ils avaient garde
entieres ces vaillantes et genereuses vertus.
[Note 1: Ils portaient la croix de Saint-Louis suspendue a un ruban
de laine, faute, dit Puisaye, de moyens d'en payer un de soie.]
Oui, les moyens etaient immenses et les qualites magnanimes: mais ici, des
le debut, meme avant le depart, se revelent les defauts qui feront tout
echouer, defauts de cette generation elevee par le siecle du doute, et que
Dieu semble avoir condamnee et aveuglee jusqu'au bord du precipice, pour
qu'elle y put immanquablement tomber. Ils avaient le courage, le devoument,
l'heroisme, il leur manquait la decision, la nettete de vues; il ne se
trouva pas un homme pour conduire ces bras: Puisaye, negociateur,
diplomate, plutot que general, perdit promptement la tete; d'Hervilly,
officier de details, n'avait ni initiative ni idees d'ensemble; Sombreuil
arriva trop tard. Le commandement, d'ailleurs, etait partage: Puisaye est
le chef nominal; d'Hervilly le chef militaire; les chouans ne reconnaissent
que Puisaye, les emigres n'obeissent qu'a d'Hervilly. Puis, au lieu de
partir tous ensemble, en une masse compacte, capable d'un energique effort,
ils se divisent: le deuxieme corps ne quitte l'Angleterre que trois
semaines apres le premier; celui-ci debarque le 27 juin, celui-la le 15
juillet, le troisieme, le plus considerable, qui emmene le comte d'Artois,
attendra, avant de partir, quelque succ
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