ir rempli les plus
hauts emplois, vu a l'oeuvre les hommes les plus habiles et les plus
puissants, une fois retire du cercle tournoyant du monde, il avait ete
penetre d'une accablante verite: combien peu vaut l'homme, combien peu il
fait, combien moins encore il reussit en ce qu'il tente. Ce qui cause la
joie, l'orgueil, l'enivrement du monde, le faisait sourire; il avait pour
tous les hommes un egal dedain, et ce dedain il ne s'en exceptait pas
lui-meme; il savait, selon le mot d'un ancien, qu'il y a peu de difference
d'un homme a un autre homme[1].
[Note 1: Thucydide.]
Par humilite donc, il ne veut pas sur son tombeau d'inscription, pas de
nom: qu'importe qui lira son nom! les hommes sont petits, et il est l'un
d'eux!--Mais, par orgueil aussi, il veut une pierre nue: cette pierre, elle
sera visitee des voyageurs de toutes contrees; ils viendront la regarder,
et diront: _Chateaubriand_! Ce nom, il sera prononce sur les flots par ceux
qui arrivent et par ceux qui partent pour les regions lointaines; il
pretend obliger les hommes a savoir qui il est.
Ainsi, o instabilite continue de l'ame humaine! en lui s'unissent les
sentiments les plus contraires, le desenchantement de la gloire, et la
croyance en l'immortalite d'un nom; le dedain du scepticisme, et la soif
des applaudissements; une impression d'humilite de chretien, et un instinct
de souverain orgueil.
La verite, pourtant, est la: cette croix, signe de l'eternite sur cette
pierre marque de la mort, est l'immuable temoignage de l'inanite de
l'orgueil humain. Mais elle a aussi une autre signification: Chateaubriand
ne voulut sur son tombeau qu'une croix, de meme que Lamennais, son
compatriote, ordonna qu'elle ne fut pas plantee sur le sien, tous deux
obeissant a la meme preoccupation, dans la negation comme dans la foi. La
croix, dominant la tombe ou repose le poete breton, est le symbole du genie
de sa patrie, de la catholique Bretagne.
La foi, en Bretagne, a un caractere particulier, elle s'allie a une poesie
propre au genie breton: les objets materiels parlent en ce pays, les
pierres s'animent, les campagnes ont une voix qui revele l'ame de l'homme
conversant avec Dieu. Ce n'est pas une imagination, personne ne s'y peut
tromper: des que l'on entre en Bretagne, la physionomie du pays change, et
le signe de ce changement est la croix. Sur les chemins, a tous les
carrefours, s'eleve une croix. Il y en a de toutes les epoques; depuis le
XIIe siecle jusqu'a
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