recharger. Alors, parmi les
maledictions des blesses, les jurons, il y eut dans cette cour une
deuxieme bataille... melee, affreuse, d'autant plus terrible que les
torches avaient ete jetees; les gardes, se servant de leurs arquebuses
comme de massues, s'assommant les uns les autres.
Et, dans ce groupe informe, delirant. Pardaillan, sa dague au poing, se
lancait tete baissee, frappait a droite, frappait a gauche, passait,
coupait, faisait une horrible trouee. Deux ou trois minutes
s'ecoulerent; la cour etait pleine de sang... les gardes affoles, pris
d'une terreur insensee, se sauvaient, se heurtaient a d'autres qui
accouraient... Ce fut une vision d'enfer, une indescriptible ruee a
travers les couloirs et les cours de la Bastille. Dans la grande cour,
une trentaine de cadavres gisaient sur les paves.
Pardaillan, Charles d'Angouleme, Montsery, Sainte-Maline et Chalabre, en
quelques secondes, tinrent conseil. A eux cinq, ils marcherent sur la
porte d'entree. De-ci, de-la, eclataient encore des coups d'arquebuse;
de loin en loin, des groupes de gardes passaient, affoles, tirant les
uns sur les autres.
Pardaillan arriva devant la porte d'entree. La, une vingtaine de gardes
s'etaient barricades. Pardaillan, d'un coup de coude, fit sauter le
vitrail de la fenetre: sa tete sanglante, herissee, terrible, apparut
aux assieges, et il hurla:
--Au nom du roi, rendez-vous... Il y a deux mille royalistes dans la
Bastille!
--Vive le roi! vocifererent les assieges.
--Jetez vos armes!...
Les arquebuses et les hallebardes passerent a travers les barreaux de la
fenetre.
--Bon!... Ne bougez plus, ou vous etes morts!
En meme temps, Sainte-Maline, Montsery et Chalabre ouvraient la grande
porte, abattaient le pont-levis.
--Partez! fit Pardaillan.
--Et vous?...
--Partez donc, mordieu!...
--Adieu, monsieur de Pardaillan! Souvenez-vous de notre dette!...
Tous trois bondirent sur le pont-levis et disparurent dans la nuit.
Charles considerait Pardaillan sans comprendre, mais avec cette
confiance illimitee qu'il avait pour lui. Pourquoi ne fuyait-il pas?
Et, pourtant, la situation, qui, apres avoir ete tragique, etait
maintenant si favorable, menacait de redevenir terrible. En effet, au
tocsin de la Bastille, d'autres tocsins dans Paris avaient repondu. Des
rumeurs s'eveillaient.
Ce qui se passait!... Il se passait que Pardaillan, prenait la
Bastille!... Et la Bastille prise, que voulait-il encore?... Il se
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