toute-puissance. Il avait autour de lui une espece de cour composee de
quelques hommes, mais surtout de beaucoup de femmes, qui lui prodiguaient
les soins les plus delicats. Toujours empressees a sa porte, elles
temoignaient pour sa personne la sollicitude la plus constante; elles ne
cessaient de celebrer entre elles sa vertu, son eloquence, son genie; elles
l'appelaient un homme divin et au-dessus de l'humanite. Une vieille
marquise etait la principale de ces femmes, qui soignaient en veritables
devotes ce pontife sanglant et orgueilleux. L'empressement des femmes est
toujours le symptome le plus sur de l'engouement public. Ce sont elles qui,
par leurs soins actifs, leurs discours, leurs sollicitudes, se chargent d'y
ajouter le ridicule.
Aux femmes qui adoraient Robespierre s'etait jointe une secte ridicule et
bizarre, formee depuis peu. C'est au moment de l'abolition des cultes que
les sectes abondent, parce que le besoin imperieux de croire cherche a se
repaitre d'autres illusions, a defaut de celles qui sont detruites. Une
vieille femme dont le cerveau s'etait enflamme dans les prisons de la
Bastille, et qui se nommait Catherine Theot, se disait mere de Dieu, et
annoncait la prochaine apparition d'un nouveau Messie. Il devait, suivant
elle, apparaitre au milieu des bouleversemens[1], et, au moment ou il
paraitrait, commencerait une vie eternelle pour les elus. Ces elus devaient
propager leur croyance par tous les moyens, et exterminer les ennemis du
vrai Dieu. Le chartreux dom Gerle, qui figura sous la constituante et dont
l'imagination faible avait ete egaree par des reves mystiques, etait l'un
des deux prophetes, Robespierre etait l'autre. Son deisme lui avait sans
doute valu cet honneur. Catherine Theot l'appelait son fils cheri; les
inities le consideraient avec respect, et voyaient en lui un etre
surnaturel, appele a des destinees mysterieuses et sublimes. Probablement
il etait instruit de leurs folies, et sans etre leur complice il jouissait
de leur erreur. Il est certain qu'il avait protege dom Gerle, qu'il en
recevait des visites frequentes, et qu'il lui avait donne un certificat de
civisme signe de sa main, pour le soustraire aux poursuites d'un comite
revolutionnaire. Cette secte s'etait fort repandue; elle avait son culte et
ses pratiques, ce qui ne contribuait pas peu a sa propagation; elle se
reunissait chez Catherine Theot, dans un quartier recule de Paris, pres du
Pantheon. C'etait la que se faisaient
|