Les cruels agens de Robespierre, l'accusateur Fouquier-Tinville, le
president Dumas, s'etaient empares de la loi du 22 prairial, et allaient
s'en servir pour ravager les prisons. Bientot, disait Fouquier, on mettra
sur leurs portes cet ecriteau: _Maison a louer_. Le projet etait de se
delivrer de la plus grande partie des suspects. On s'etait accoutume a les
considerer comme des ennemis irreconciliables, qu'il fallait detruire pour
le salut de la republique. Immoler des milliers d'individus n'ayant d'autre
tort que de penser d'une certaine maniere, et souvent meme ne pensant pas
autrement que leurs persecuteurs, semblait une chose toute naturelle, par
l'habitude qu'on avait prise de se detruire les uns les autres. La facilite
a faire mourir et a mourir soi-meme etait devenue extraordinaire. Sur les
champs de bataille, sur l'echafaud, des milliers d'hommes perissaient
chaque jour, et on n'en etait plus etonne. Les premiers meurtres commis en
93 provenaient d'une irritation reelle et motivee par le danger.
Aujourd'hui les perils avaient cesse, la republique etait victorieuse, on
n'egorgeait plus par indignation, mais par l'habitude funeste qu'on avait
contractee du meurtre. Cette machine formidable qu'on fut oblige de
construire pour resister a des ennemis de toute espece commencait a n'etre
plus necessaire; mais une fois mise en action, on ne savait plus l'arreter.
Tout gouvernement doit avoir son exces, et ne perit que lorsqu'il a atteint
cet exces. Le gouvernement revolutionnaire ne devait pas finir le jour meme
ou les ennemis de la republique seraient assez terrifies; il devait aller
au-dela, il devait s'exercer jusqu'a ce qu'il eut revolte tous les coeurs
par son atrocite meme. Les choses humaines ne vont pas autrement. Pourquoi
d'affreuses circonstances avaient-elles oblige de creer un gouvernement de
mort, qui ne regnerait et ne vaincrait que par la mort?
Ce qui est plus effrayant encore, c'est que lorsque le signal est donne,
lorsque l'idee est etablie qu'il faut sacrifier des vies, et qu'en les
sacrifiant on sauvera l'etat, tout se dispose pour ce but affreux avec une
singuliere facilite. Chacun agit sans remords, sans repugnance; on
s'habitue a cela comme le juge a envoyer des coupables au supplice, le
medecin a voir des etres souffrans sous son instrument, le general a
ordonner le sacrifice de vingt mille soldats. On se fait un affreux langage
suivant ses nouvelles oeuvres; on sait meme le rendre gai, on trou
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